Qu’est-ce que le christianisme polycentrique ?

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Essor de l’Afrique

Introduction

En son temps, Paul s’est réjoui avec les Colossiens que l’Évangile se répande et porte du fruit dans le monde entier (Colossiens 1.6). Nous aussi, nous remercions Dieu pour le fait bien attesté que le christianisme a connu une croissance rapide en Afrique au cours du siècle écoulé. Selon la dernière édition de la World Christian Encyclopedia, 26 % de tous les chrétiens vivent en Afrique, alors que l’Afrique représente environ 18 % de la population mondiale totale. En termes relatifs, l’Afrique, avec 26%, a le pourcentage le plus élevé de chrétiens dans le monde, suivie par l’Amérique latine (24 %), l’Europe (23 %), l’Asie (15 %), l’Amérique du Nord (11 %) et l’Océanie (1 %).1 En effet, Dieu s’est souvenu de son amour et de sa fidélité envers Israël, et toutes les extrémités de la terre ont vu le salut de notre Dieu (Psaume 98.3).

L’essor de l’Afrique

Si la diffusion de l’Évangile témoigne de la puissance de l’Esprit Saint, la progression historique du christianisme en Afrique ne s’est pas faite dans le vide. Le continent a connu plusieurs vagues monumentales de transformation sociale qui influencent la manière dont nous imaginons la poursuite du mandat missionnaire dans les décennies à venir. Pendant longtemps, la pauvreté et la maladie, le sous-développement, la médiocrité des dirigeants politiques et le manque d’infrastructures modernes ont placé le continent loin derrière d’autres régions du monde en termes de progrès social. Au cours des dernières décennies, quatre marqueurs de changement ont progressivement donné naissance à un nouveau récit, largement connu sous le nom de « Africa rising » [Essor africain]. 

Expansion de l’espace politique démocratique

Malgré la persistance de poches d’instabilité politique et de flambées récurrentes de violence, l’Afrique jouit dans l’ensemble d’une plus grande liberté démocratique qu’avant les années 2000 et, lorsqu’un conflit éclate, il est résolu beaucoup plus rapidement. Cette stabilité facilite d’autres changements positifs.

Croissance économique visible

Un certain nombre d’indices de développement nous permettent de constater une croissance économique. Par exemple, la baisse des taux de mortalité infantile, l’amélioration de l’accès aux soins de santé et l’accès accru à l’éducation formelle à des niveaux plus élevés sont autant de facteurs qui contribuent à l’amélioration des conditions de vie. Les jeunes Africains exploitent les domaines de la technologie, de la mode, de la musique, de l’éducation, de l’entrepreneuriat et de la finance pour faire passer le continent de la marge jusqu’à l’avant-scène des affaires mondiales. L’afro-pessimisme profondément ancré a cédé la place à la prise de conscience que l’Afrique est un marché émergent pour les biens et services mondiaux et qu’elle détient des matières premières essentielles pour les industries mondiales. Certes, cette réévaluation s’accompagne de nouveaux modes d’exploitation, mais pour les Africains, l’accès à des plateformes mondiales auparavant hors de portée offre surtout des conditions de concurrence plus équitables.

La croissance démographique attire l’attention mondiale

En 2023, l’Afrique comptera près de 1,4 milliard d’habitants, dont 15 % auront moins de 15 ans. La population devrait en outre doubler d’ici à 2050.2 L’augmentation prévue devrait se concentrer dans un certain nombre de pays déjà densément peuplés, comme la République démocratique du Congo, l’Égypte, l’Éthiopie, le Nigeria et la Tanzanie. Simultanément, en termes de masse continentale et par rapport aux autres continents, l’Afrique est plus que capable d’accueillir cette population. 

Urbanisation incroyable

Avec un taux d’urbanisation de 47 %, l’Afrique connaît l’un des taux d’urbanisation les plus rapides au monde, rattrapant ainsi une grande partie du reste du monde. Cette croissance s’accompagne d’un développement des infrastructures – quoiqu’au prix de l’endettement – d’une innovation dans le secteur du logement, de droits fonciers réévalués, de tours d’habitation surpeuplées et d’une diminution des bidonvilles sordides d’antan. Les villes revigorées présentent de plus en plus souvent des lignes d’horizon étincelantes et des banlieues résidentielles cossues, ainsi que des commerces de détail, des réseaux de transport locaux et régionaux, des télécommunications locales et internationales, et des industries du sport et du divertissement. L’accès et l’intégration régionale créent des bases de consommation plus larges. 

Perspectives pour le Mandat missionnaire

Les quatre changements clés susmentionnés, à savoir l’élargissement de l’espace démocratique, l’essor économique visible malgré la persistance de marginalités, l’augmentation des populations et l’urbanisation rapide, devraient être au cœur de l’engagement missionnaire sur l’ensemble du continent. Plusieurs domaines clés sont mis en évidence ci-dessous.

Évangéliser les étudiants à tous les niveaux

Premièrement, l’inflexion ascendante de la courbe de la population africaine a produit une base de population plus élevée, formant une structure pyramidale. Cette évolution s’accompagne d’une croissance exponentielle du secteur de l’éducation formelle. Entre 2000 et 2010, la quasi-totalité des pays africains ont enregistré des progrès notables en matière de scolarisation dans l’enseignement primaire et secondaire, ainsi que dans l’enseignement supérieur entrepreneurial. L’enseignement supérieur contribue à la démocratisation des nations et à la stabilisation des économies, ce qui en fait un bien recherché. L’éducation a également été à l’origine de la montée en puissance d’une population de jeunes adultes conscients de la mondialisation et avertis sur le plan technologique et culturel. 

Il faut donc mettre l’accent sur l’évangélisation et le discipulat des étudiants à tous les stades. Dans cette nouvelle phase de la mission chrétienne, il est absolument vital que l’évangélisation et la formation de disciples se concentrent sur les jeunes adultes qui entrent dans l’enseignement supérieur dans les facultés et universités. Le travail florissant des services chrétiens auprès des étudiants locaux, financés par les anciens élèves, tels que FOCUS Kenya (Fellowship of Christian Unions) et tous les groupes étudiants universitaires affiliés à l’IFES (International Fellowship of Evangelical Students ou GBU), tels que NIFES-Nigeria, GHAFES-Ghana et IFES Afrique Francophone, offrent des modèles particulièrement instructifs sur la manière d’évangéliser les jeunes adultes dans cette nouvelle étape du continent africain. FOCUS Kenya, en particulier, a eu un impact énorme et peut fournir des modèles pour l’évangélisation des étudiants universitaires là où ce type de travail n’est pas encore implanté. C’est essentiel, car la population ayant fait des études supérieures deviendra une classe moyenne qui influencera les trajectoires du reste de la société. 

S’occuper d’une classe moyenne en mutation

Dans les décennies d’après-guerre, la société occidentale a connu une phase de croissance similaire à celle que connaît actuellement l’Afrique. La classe moyenne occidentale s’est développée à partir de jeunes gens qui, après avoir obtenu leur diplôme universitaire, sont devenus avocats, médecins, maîtres de conférence, gestionnaires, experts administratifs, entrepreneurs, ainsi qu’une classe de cols bleus bénéficiant d’un emploi stable. Même si l’évolution des marchés de l’emploi ne permettra pas de créer de professions stables à long terme, une classe moyenne importante, bien que non représentative, est en train de prendre forme en Afrique. Cela soulève des questions sur les modèles de sécularisation et de désacralisation de la sphère publique et sur la privatisation de la foi. Bien que les sociétés diffèrent dans leurs conditions exactes, il incombe aux Églises de sensibiliser à la possibilité que les générations montantes s’intéressent de moins en moins à l’Église. Au cours de cette dernière phase de la croissance de l’Église africaine, l’accent a été mis sur l’implantation d’Églises, principalement axée sur la conversion et l’augmentation numérique. Au-delà de l’augmentation numérique, il n’est pas évident qu’un segment important des Églises africaines s’investisse dans l’élaboration d’une vision chrétienne destinée aux populations en métamorphose (littéralement en constant changement). Les programmes d’études théologiques des séminaires/écoles bibliques et facultés de théologie qui forment le corps pastoral ont un rôle à jouer dans la formation d’une telle vision, mais cette vision ne se limite pas à cela. Face à de multiples visions sécularisées concurrentes qui excluent totalement la spiritualité, il est urgent que les Églises s’investissent consciemment pour inspirer à leur société une vision éthique et morale façonnée par la Bible.

Bien que les sociétés diffèrent dans leurs conditions exactes, il incombe aux Églises de sensibiliser à la possibilité que les générations montantes s’intéressent de moins en moins à l’Église.

Réévaluer les dépendances et les conditionnalités des missions passées

Si les conditions matérielles de l’Afrique se sont effectivement améliorées, le mérite en revient en partie à l’Église occidentale – principalement aux grandes organisations confessionnelles telles que World Vision, Compassion International, Food for the Hungry et Tear Fund, ainsi qu’à de nombreuses autres organisations chrétiennes financées par l’Occident qui ont fait œuvre pionnière en matière d’amélioration des conditions matérielles. Ce fait est indéniable. Les missionnaires individuels, les équipes de mission à court terme et les initiatives communautaires ont fait preuve d’une grande solidarité avec les communautés pauvres d’Afrique par le biais d’une grande variété de projets de microfinancement, notamment pour soutenir les femmes, le parrainage d’enfants et les orphelinats. Récemment, l’expression « les affaires comme mission » a rejoint le refrain selon lequel il faut faire de bonnes affaires pour améliorer le bien-être matériel au nom du Christ. En soi, la croissance économique et même la croissance de la consommation pour une population jusque-là perpétuellement privée de ses droits est un bien souhaitable défendu par la mission chrétienne.

Pour l’avenir, ces efforts doivent s’accompagner de réflexions importantes, d’autant plus que le travail axé sur le développement en Afrique est soutenu par « Mission SA » en Occident.3 La relation entre la compassion chrétienne, d’une part, et la dépendance matérielle (plutôt que la foi), d’autre part, doit être prise en compte. Les questions de relations de pouvoir dans les co-dépendances, malgré les intentions de collaboration, exigent une prise de conscience réflexive de la part des missionnaires et des communautés de donateurs en provenance de l’étranger. De même, la tension entre les besoins matériels authentiques et un consumérisme cumulatif dépourvu d’une vision théologique bien fondée ne peut être ignorée dans l’Afrique émergente. En outre, à mesure que les économies occidentales évoluent (déclinent ?), il sera nécessaire de réévaluer les modèles d’approvisionnement et d’accès aux ressources institutionnelles en provenance de l’Occident, en prêtant attention à la durabilité des initiatives missionnaires dépendant de l’organisation.4

Mission : rétrospective et perspectives

En 2010, dans une évaluation publiée à l’occasion du centenaire de la Conférence missionnaire d’Édimbourg de 1910, Robert Priest intitulait un chapitre « Une nouvelle ère de la mission s’ouvre à nous ». Priest y résume quatre époques qui ont largement façonné la mission protestante au cours du siècle écoulé.5 Commençant en 1792, William Carey illustre la première époque pendant laquelle ce dernier a appelé les missionnaires à établir l’Église en dehors de la chrétienté. Au cours de la deuxième époque, soit à partir de 1865, Hudson Taylor a mobilisé une génération pour qu’elle se concentre sur les régions géographiquement isolées qui n’avaient pas eu de contact avec l’Évangile. William Cameron, fondateur de Wycliffe Bible Translators (1942) et du Summer Institute of Linguistics (1934), illustre la génération de la troisième époque, qui, par le biais de la traduction de la Bible, a mis l’accent sur les « groupes ethnolinguistiques non atteints ». D’après Robert Priest, une quatrième époque fait écho à Ralph Winter et le mouvement World Christian Perspectives, qui évoque « l’époque du royaume », où on en est venu à comprendre la mission en termes holistiques, à savoir répondre à des besoins matériels généraux en même temps qu’évangéliser. Le continent africain en a bénéficié en tant que continent d’accueil missionnaire à travers différentes phases : au-delà des frontières, arrière-pays, « non-atteints » et mission humanitaire et holistique. Dernièrement, l’Afrique en est venue à mettre son empreinte de manière significative sur le récit du christianisme mondial, comme en témoigne l’affirmation selon laquelle la force numérique de l’Église s’est déplacée vers le Sud planétaire, ou la notion naissante de missions inversées. C’est dans ce contexte qu’il convient d’imaginer ce que doit être, à l’avenir, l’engagement missionnaire en Afrique. Dans cette prochaine phase, compte tenu de l’évolution de la population et de la dynamique sociale, l’Afrique a besoin de cultiver une vision théologique intégrée qui permettra de consolider les bénéfices de tous les efforts missionnaires d’évangélisation. 

Dans cette prochaine phase, compte tenu de l’évolution de la population et de la dynamique sociale, l’Afrique a besoin de cultiver une vision théologique intégrée qui permettra de consolider les bénéfices de tous les efforts missionnaires d’évangélisation. 

Jeunesse africaine

Les Églises doivent tenir compte de la relative jeunesse de la population. La socialisation qui tient compte d’une vision chrétienne ne peut être laissée aux institutions éducatives d’État, même si les États doivent être encouragés à continuer d’assumer leur responsabilité dans la promotion de l’éducation formelle. La formation spirituelle ne se limite pas aux ministères auprès de la jeunesse. Il s’agit notamment de cultiver un habitus théologique favorable à la jeunesse par le biais d’Églises intentionnellement bien formées au discipulat et d’institutions éducatives formées par l’Église. Cette valeur incontestable des jeunes pour la mission de Dieu est bien attestée dans l’Ancien Testament. Pensez à Joseph, David, Jérémie, Josias, Daniel, Esther, Ruth, ainsi qu’à de nombreux compagnons de Paul comme Timothée et Silas.

Développer une vision éthique et morale

L’Afrique a besoin d’une vision éthique et morale inspirée par le Christ et adaptée à une nouvelle classe moyenne. La tendance de l’Église a été de fustiger avec désinvolture le bien-être matériel, sans tenir compte des implications de l’amélioration matérielle pour un continent constamment ravagé par la pauvreté. Une vision morale et éthique réfléchie sera beaucoup plus utile, car, dans un contexte d’inégalité, une partie importante de la population est sur le point de rejoindre la classe moyenne. Une telle vision doit attester de l’authenticité et de la crédibilité du témoignage chrétien dans l’arène publique, au-delà des murs de l’église. 

Approfondir et consolider la théologie

Il ne sert à rien de répéter que le christianisme africain est très large et peu profond, ou qu’il est dépourvu de formation et de ressources théologiques. Au cours des dernières décennies, la mission chrétienne s’est beaucoup investie dans la création d’écoles bibliques, de facultés de théologie et d’universités dirigés par des responsables et des enseignants locaux. Au Ghana, par exemple, les Églises ont transformé leurs écoles bibliques en universités, c’est le cas de Central University, Pentecost University et Regent University of Science and Technology. Au Kenya, la réglementation gouvernementale exigeait que les écoles bibliques soient transformées en universités. En Afrique australe, l’influence de la numérisation a amélioré l’accès à l’éducation chrétienne. En outre, des organisations internationales telles que Langham Publishers, Oasis International et Tyndale House, entre autres, soutiennent l’édition théologique et l’accès au matériel théologique en Afrique. L’enquête sur le leadership en Afrique a révélé que les Africains sont en fait de fervents lecteurs de la Bible et d’une variété de livres de méditation et de théologie.6 Scholar Leader Foundation soutient la formation de leaders chrétiens aux plus hauts niveaux d’éducation. Les progrès de la technologie et de l’accessibilité ont grandement amélioré l’alphabétisation biblique, bien que le travail ne soit pas terminé. L’Afrique abrite également des radios et des télévisions chrétiennes robustes, qui diffusent des prédications et de la musique chrétienne. Cela dit, les questions relatives à l’évangélisation et aux activités connexes d’implantation d’Églises doivent être examinées sous divers angles pratiques, notamment en ce qui concerne la formation et la préparation des professionnels, la reddition de compte sur les ressources et l’ossature institutionnelle ecclésiale nécessaire.

Préserver le témoignage des chrétiens africains

Indépendamment des affiliations confessionnelles, le christianisme africain dans son ensemble reste manifestement conservateur sur le plan culturel et théologique. Cependant, des polarités chrétiennes concurrentes, souvent originaires de l’extérieur du continent (en particulier d’Amérique), exercent une énorme influence polarisante sur le témoignage de l’Église africaine au sein de son propre continent. Les dirigeants chrétiens, les missionnaires et les partenaires devront réfléchir à la manière dont ces rivalités importées diluent le témoignage chrétien. Les dirigeants chrétiens africains doivent prendre en considération les visions théologiques concurrentes du christianisme (des christianismes ?), et pas seulement celles inspirées par un moralisme progressiste libéral occidental.

Améliorer les programmes d’études théologiques

Alors que l’Afrique bénéficie d’une prolifération d’institutions théologiques, un large éventail de séminaires, instituts bibliques et universités chrétiens sont encore largement influencés par les missions occidentales dans leur structure et la conception de leurs programmes d’études. Les responsables des Églises de base les considèrent souvent comme étrangers aux besoins de l’Afrique parce qu’ils ont tendance à proposer des programmes génériques qui semblent rester plus occidentaux qu’africains. Il convient d’examiner attentivement les relations entre les institutions de formation et les Églises.

Mission axée sur le développement

Une autre préoccupation persistante concerne les activités missionnaires axées sur le développement. Bien qu’il soit utile de répondre aux besoins sociaux, la grande variété d’activités entrepreneuriales liées à l’Église est souvent source de préoccupation pour le témoignage central de l’Église. Bien que beaucoup de choses soient faites au nom de la mission chrétienne, il n’est pas évident que des cadres théologiques fondés sur la Bible aient été articulés autour de ces activités, ou que ceux qui bénéficient de ces services reconnaissent la différence entre les organisations chrétiennes et les organisations d’aide mondiales. De nombreux ouvrages traitent du fait que l’Église est la nouvelle ONG – organisation non gouvernementale – ou plutôt OC – organisation confessionnelle. Une critique similaire est formulée à l’encontre des médias chrétiens populaires, axés sur la commercialisation d’un message chrétien mais avec l’absence d’une éthique théologique biblique claire. Ces problèmes ne diffèrent pas de ce qui se passe dans d’autres contextes tels que les États-Unis où les contingences pragmatiques façonnent une grande partie de l’activité chrétienne ; ils doivent cependant faire partie d’une prise de conscience auto-réflexive parmi les chrétiens africains au moment où l’Église continue de croître.

Participation continue des femmes à la mission

Les femmes constituent une part importante de l’Église en Afrique. Dans toute l’Afrique, les dernières décennies ont éveillé à l’importance de l’éducation des filles. On dit qu’éduquer une fille, c’est élever tout le village. Si le patriarcat reste une caractéristique des cultures politiques d’une grande partie de la région, des progrès ont été réalisés en termes d’autonomisation des filles dans le domaine de l’éducation et d’amélioration de l’image des femmes dans la vie publique. Cela dit, même si l’on observe que les femmes sont majoritaires dans les Églises d’Afrique, leur représentation au sein des instances dirigeantes est minime, voire inexistante dans certaines Églises. L’autonomisation continue des femmes en tant que partenaires égales aux hommes dans la mission de Dieu jouera un rôle important dans l’avancement de la cause de la mission au niveau local et à l’étranger.

Remettre en question les pratiques non bibliques et faire face aux nouveaux problèmes sociaux

Il faut continuer à mettre en question certaines pratiques culturelles. Par exemple, les personnes en situation de handicap ont majoritairement été stigmatisées dans les communautés chrétiennes africaines. Le handicap et la maladie chronique sont souvent perçus comme une malédiction ou une punition des dieux ou des ancêtres en raison d’une abomination commise par la personne, un parent ou un ancêtre. Malheureusement, cette croyance conduit souvent à des pratiques d’exorcisme néfastes au lieu d’accroître l’accessibilité des services chrétiens. La victimisation des enfants et des femmes âgées par des accusations de sorcellerie est une question connexe que l’Église ne peut ignorer. Comme dans tous les contextes d’urbanisation, l’exploitation et la traite des filles et des femmes à des fins de travail et d’exploitation sexuelle constituent un problème dont l’importance ne cesse de croître. Les populations africaines connaissent également une résurgence des pratiques culturelles traditionnelles qui sont contraires à la vision chrétienne, dont beaucoup sont revitalisées par la mondialisation, l’accès aux médias électroniques et l’opportunisme économique. En outre, l’Église doit rester vigilante face aux programmes des multiples groupes d’intérêt à l’intérieur et à l’extérieur du continent qui poursuivent des intentions contraires à Dieu au sein de la population croissante des jeunes adultes.

Témoignage auprès des musulmans et conflit islamo-chrétien

Bien que la croissance de l’Église soit célébrée, le changement religieux n’est pas l’apanage du christianisme. L’islam connaît une croissance exponentielle. Le nord musulman reste peu évangélisé, tandis que les deux religions se rejoignent au Sahel. Des organisations missionnaires comme SIM et WEC, qui étaient à l’origine occidentales, recrutent désormais des missionnaires africains pour le monde musulman ; simultanément des organisations missionnaires autochtones comme CAPRO, basée au Nigeria, s’étendent dans les pays musulmans. Le témoignage par la proclamation et l’implantation d’Églises dans le nord majoritairement musulman pourraient constituer la percée vitale des prochaines décennies. 

Il y aura toujours de nouvelles générations qui auront besoin d’entendre et d’être façonnées par une vision évangélique, car l’Évangile de Jésus-Christ est le seul pouvoir durable de transformation de la condition humaine.

Entre-temps, le conflit entre chrétiens et musulmans persiste. Alors que des pays comme la Gambie et le Sénégal offrent des modèles de coexistence pacifique, les pays situés le long de la ligne de démarcation du Sahel connaissent des tensions. Les chrétiens des zones frontalières ont souvent été victimes de l’anarchie terroriste. Comme on s’attend à ce que les populations augmentent, les conflits continueront d’être une question sensible, en particulier lorsqu’ils sont fondamentalement motivés par des questions de politique et de ressources, comme dans le nord du Nigeria et la corne de l’Afrique. Il est essentiel que les chrétiens discernent les problèmes sous-jacents et s’engagent dans un dialogue approprié, une coopération interconfessionnelle, une réconciliation et une mobilisation civique des autorités respectives. Il est certain que l’évangélisation des communautés musulmanes majoritaires reste une priorité.

Conclusion

Comme le psalmiste l’a chanté il y a longtemps, l’Éthiopie (l’Afrique) a effectivement tendu les mains vers Dieu en lui apportant son tribut de louanges aux côtés des nations (Psaume 68.32-36). Avec Israël, celle qui était autrefois délaissée est maintenant appelée Hephzibah : « Le Seigneur prend plaisir en toi, et ta terre sera épousée » (Ésaïe 62.4). Pourtant, comme Ésaïe l’a vu en ce jour ancien, ceux qui invoquent aujourd’hui le nom du Seigneur au nom de l’Afrique ne peuvent pas se reposer sur leurs lauriers. Tout en nous réjouissant de l’étonnante grâce de Dieu envers le continent au cours de ce dernier siècle remarquable de croissance, il n’y a guère de place pour se laisser aller à l’autosatisfaction en ce qui concerne le Mandat missionnaire. L’ennemi rôde, cherchant qui dévorer (1 Pierre 5.8) par le biais du péché humain et des multiples expressions du mal culturel, politique et corporatif. Aucune transformation sociale ne peut remplacer le besoin de l’Évangile de Jésus-Christ. En effet, la transformation sociale que connaît actuellement l’Afrique souligne l’urgence du Mandat missionnaire. Il y aura toujours de nouvelles générations qui auront besoin d’entendre et d’être façonnées par une vision évangélique, car l’Évangile de Jésus-Christ est le seul pouvoir durable de transformation de la condition humaine. La mission de faire des disciples, de baptiser et d’enseigner reste impérative. Que l’Afrique se lève, en effet. Avec elle, soyons tous à la hauteur de l’occasion pour apporter l’Évangile de celui dont l’accroissement du gouvernement et de la paix n’aura pas de fin (Ésaïe 9.6-7).

Endnotes

  1. Todd M Johnson and Gina Zurlo. World Christian Encyclopedia, Third Edition (Edinburgh: Edinburgh University Press, 2020). 
  2. 2022 Revision of World Population Prospects. United Nations. https://population.un.org/wpp/.
  3. See: Jonathan Bonk et al. The Realities of Money and Missions: Global Challenges and Case Studies (Pasedena, CA: William Carey, 2022).
  4. See Paul Bendor-Samuel. ‘Mission, Power, and Money.’ in Missions and Money: Global Realities and Challenges (Pasedena, CA: William Carey, 2022) 138.
  5. Robert Priest. ‘A New Era of Missions is Upon Us’ in Evangelical and Frontier Mission: Perspectives on the Global Progress of the Gospel. Beth Snodderly and A. Scott Moreau, eds. (Minneapolis, MN: Fortress Press, 2011) 294-304.
  6. See Robert Priest and Kirimi Barine. African Christian Leadership: Realities, Opportunities, and Impact (Maryknoll, NY: Orbis Books, 2017).

Authors' Bios

Wanjiru Gitau

Née et élevée au Kenya, Wanjiru M. Gitau est professeure adjointe de théologie pratique et de christianisme mondial à Palm Beach Atlantic University. Elle est l’auteure de Megachurch Christianity Reconsidered: Millennials and Social Change in African Christianity. Wanjiru Gitau, qui a beaucoup voyagé dans le cadre de ses recherches sur la mission, est membre de multiples plateformes sur les missions mondiales, et notamment le réseau de recherche et d’information stratégique du Mouvement de Lausanne. Elle fait également partie du conseil éditorial consultatif de l’AML.

Seyram Amenyedzi

Seyram B. Amenyedzi est pasteure consacrée ghanéenne, actuellement directrice de troisième cycle au South African Theological Seminary. Elle est chargée de recherche au sein du German-South African International Research Training Group sur « Transformative Religion : Religion as situated knowledge in processes of social transformation », recherche financée par la Fondation de recherche sud-africaine (NRF) et la Fondation de recherche allemande (DFG).

Folhe Lygunda

Folhe Lygunda est le fondateur et le directeur général du Centre africain d’études interdisciplinaires (CAEI) à Kinshasa, en République démocratique du Congo. Il est titulaire d’un doctorat en missiologie de l’Université du Nord-Ouest, à Potchefstroom, en Afrique du Sud, et d’un doctorat en théologie du Séminaire théologique d’Asbury. Il est l’auteur de Transforming Missiology: An Alternative Approach to Missiological Education (Langham, 2018).

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