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Ethnicisme

Soojin Chung, Alice Yafeh-Deigh & David Chao

Israël n’était pas ethniquement monolithique, et la Bible aborde clairement la question de l’ethnicisme ou de l’ethnocentrisme. Dans Luc 10.33, un Samaritain, un étranger méprisé par le peuple juif, est cité en exemple de compassion. Dans Luc 17.16, lorsque Jésus guérit les dix lépreux, un Samaritain est la seule personne qui revient vers Jésus avec humilité et gratitude. Dans Genèse 11, l’histoire de la tour de Babel montre que Dieu confond le langage des humains selon les relations familiales et tribales des personnes, et non selon leur couleur de peau ou leurs caractéristiques physiques. Malheureusement, tout au long de l’histoire, pour justifier la discrimination ethnique et raciale, les gens ont interprété la Bible de manière inexacte. On en trouve un exemple dans Genèse 9, où la malédiction de Canaan, « Qu’il soit l’esclave des esclaves », a servi à justifier l’esclavage des Africains. Beaucoup de gens croyaient que les descendants de Cham, qui avaient été maudits, étaient racialement noirs. Cet article examine l’histoire de l’ethnicisme et du christianisme, et il en aborde les implications en ce qui concerne les efforts de l’Église et du Mandat missionnaire.

Histoire de l’ethnicisme dans le christianisme mondial

Amérique latine

Historiquement, le christianisme a été utilisé tant pour justifier que pour lutter contre l’ethnicisme. Les questions raciales et ethniques ont été particulièrement importantes en Amérique latine et en Afrique aux époques coloniale et postcoloniale. Lorsque les conquistadores venus d’Espagne et du Portugal ont conquis le nouveau continent au début du 16e siècle, ils ont considéré leur travail comme une croisade religieuse et ont utilisé la force pour christianiser les populations autochtones. De plus, ils ont asservi la population autochtone et l’ont exploitée économiquement. En 1552, Bartolome de Las Casas, prêtre dominicain, réprimanda les atrocités de l’esclavage des peuples autochtones dans son livre Brevísima Relación de la destrucción de las Indias [Très brève relation de la destruction des Indes]. Sa publication a joué un rôle important dans l’abolition du système d’esclavage des autochtones. Entre 1650 et 1860, pour compenser le manque de main-d’œuvre autochtone, les colons espagnols et portugais ont commencé alors à importer des esclaves africains en Amérique latine.

L’industrie esclavagiste africaine massive qui s’ensuivit a entraîné un mélange racial entre la population autochtone, les Africains et les Européens, créant une stricte hiérarchie raciale et discriminant sévèrement les peuples autochtones et les esclaves africains. Les attitudes raciales des colons espagnols et portugais s’étaient formées au cours de leur croisade religieuse contre les musulmans qui avaient conquis la péninsule ibérique dans les années 700. Les chrétiens européens considéraient les musulmans à la peau foncée d’Afrique du Nord comme des intrus et ont commencé à associer peau foncée et paganisme. Au cours de la reconquête, le triomphalisme et la haine envers les musulmans à la peau foncée étaient à leur apogée dans la péninsule ibérique. Race et religion sont devenues intimement liées, et les chrétiens espagnols et portugais se sont dressés en défenseurs de leur foi chrétienne et de la « pureté du sang ». Dans les colonies, les peuples autochtones et les esclaves africains ont été traités comme des êtres inférieurs incapables d’avoir une pleine perspicacité spirituelle. On leur a interdit de nombreux privilèges civiques et religieux, et on a établi une ségrégation entre eux et les personnes d’origine européenne. Ils n’étaient pas autorisés à être ordonnés prêtres ou à entrer dans des ordres religieux. Aujourd’hui, bien que le système de hiérarchie raciale n’existe plus, l’ethnicisme continue d’affecter les églises latino-américaines. 

Aujourd’hui, bien que le système de hiérarchie raciale n’existe plus, l’ethnicisme continue d’affecter les églises latino-américaines. 

Les chrétiens d’Amérique latine ont continué à découvrir de nouvelles façons créatives d’autochtoniser le christianisme et la libération raciale. Un excellent exemple serait Notre Dame de Guadalupe, une vierge Marie autochtonisée d’Amérique latine. La tradition veut que l’on croie que la Vierge Marie est apparue à Juan Diego, ouvrier autochtone pauvre de Mexico. La vierge Marie, ou N. D. de Guadalupe, était représentée comme une femme autochtone dans ses habits latino-américains. Elle proclamait un message d’espérance et de compassion pour tous les peuples, apportant du réconfort aux chrétiens autochtones qui avaient souffert de la violence des colons. Pour les catholiques latino-américains, Notre Dame de Guadalupe est donc un symbole de compassion, d’espérance et de libération raciale

Afrique

Les questions raciales sont profondément liées à l’histoire de l’Église en Afrique, en particulier en Afrique du Sud. En 1948, l’apartheid est devenu la loi officielle, affectant toutes les dimensions de la vie des citoyens sud-africains. L’apartheid signifiait une ségrégation raciale, où les gens étaient classés en fonction de leur race et forcés de vivre en conséquence. Au cours des années 1950, plusieurs lois ont imposé aux Africains des restrictions en matière d’économie, d’éducation, de politique et de religion. De nombreux partisans de l’apartheid ont fait valoir que l’apartheid reposait sur des fondements bibliques, et même des dirigeants de l’Église ont soutenu la séparation des races. Les partisans religieux de l’apartheid se sont servis de l’analogie avec la tour de Babel pour faire valoir que les Églises, entre autres rassemblements, devaient être séparées selon la race parce que les gens ont été créés différemment et que la séparation a été voulue par Dieu.

L’apartheid a été contesté en 1982 lorsque l’Alliance réformée mondiale (ARM) a déclaré que c’était une hérésie de soutenir le séparatisme racial. L’ARM a souligné l’unité de l’humanité, notamment la communion entre les chrétiens. En 1985, des théologiens sud-africains principalement noirs ont publié le document Kairos, prenant appui sur la théologie de la libération. D’autres parties du monde ont commencé à contester l’injustice raciale en Afrique du Sud. Les Églises et les entreprises américaines ont commencé à désinvestir et à boycotter l’économie sud-africaine. L’Afrique du Sud s’est vu refuser des prêts du système bancaire mondial. L’apartheid a officiellement pris fin en 1990 lorsque le président sud-africain F.W. de Klerk a libéré Nelson Mandela de prison. Nelson Mandela avait été chef du Congrès national africain et était emprisonné depuis vingt-sept ans.

En 1996, Desmond Tutu et Nelson Mandela ont créé la Commission Vérité et Réconciliation (CVR). Le but ultime de la CVR était le pardon et la réconciliation, mais Desmond Tutu a clairement indiqué qu’une véritable guérison et une véritable réconciliation étaient impossibles sans confession et repentance. De nombreux pays africains croient en la philosophie de l’ubuntu, c’est-à-dire à l’interconnexion de toute l’humanité. Selon cette idéologie, tous les êtres humains sont dépendants et responsables les uns des autres, soulignant ainsi l’aspect communautaire de l’expérience religieuse. Desmond Tutu a également utilisé ubuntu comme principale théologie motrice de la CVR.

Dans le monde entier, le problème de l’ethnocentrisme, du racisme et de la xénophobie subsiste et les Églises ont la capacité et la responsabilité de jouer un rôle prophétique. Le Pew Research Center constate que les jeunes générations sont plus conscientes du lien entre leur foi et leurs responsabilités sociales, ce qui prouve que d’ici 2050 l’implication des Églises dans la lutte contre l’ethnicisme augmentera.

Dans le monde entier, le problème de l’ethnocentrisme, du racisme et de la xénophobie subsiste et les Églises ont la capacité et la responsabilité de jouer un rôle prophétique.

Conséquences de l’ethnicisme pour le monde et l’Église

À l’approche de 2050, l’intersection de l’ethnicité, de la mondialisation et de la diversité devient de plus en plus vitale. Cette section explore l’impact de l’ethnicité sur la dynamique mondiale, l’Église chrétienne et la réinterprétation du « Mandat missionnaire ».1 Pour l’Église mondiale, l’ethnicité présente des difficultés aussi bien que des opportunités pour sa mission d’unité dans la diversité. L’Église est à une époque charnière pour aborder la question de l’identité ethnique, les interactions mondiales et les approches d’évangélisation. Le rôle historique de l’Église dans l’oppression coloniale est un enjeu clé.2 Aborder ces questions est essentiel pour promouvoir la paix mondiale, une évangélisation efficace et le discipulat dans tous les groupes ethniques. Dans un monde pluraliste, comprendre l’impact complexe de l’ethnicité est essentiel pour les stratégies futures alignées sur le Mandat missionnaire.

Répercussion sur le monde

Dans le contexte d’un monde de plus en plus globalisé, l’ethnicisme influence profondément les paysages sociopolitiques mondiaux, impactant l’Église et sa mission de mise en œuvre du Mandat missionnaire à l’horizon 2050. La mondialisation, mue par les progrès technologiques, facilite l’interconnexion, favorisant l’échange d’idées et de traditions entre les groupes ethniques. Cela réduit potentiellement les obstacles, favorisant une communication et une coopération efficaces, bénéficiant ainsi à l’objectif sous-jacent du Mandat missionnaire. Cela encourage le dialogue interculturel, transformant l’Église en communauté transfrontalière et socialement engagée, réceptive à l’Évangile au-delà des frontières ethniques.3

Pour l’Église mondiale, l’ethnicité présente des difficultés aussi bien que des opportunités pour sa mission d’unité dans la diversité.

Cependant, la mondialisation peut également exacerber les conflits et divisions ethniques. Les cultures dominantes et les entreprises internationales peuvent marginaliser certains groupes, et la migration peut conduire à la dislocation sociale, l’intolérance et la discrimination. Ces aspects négatifs interrogent la mission de l’Église, créant méfiance et hostilité, et entravant la diffusion de l’Évangile parmi les groupes en conflit. Il est indispensable de reconnaître le double potentiel de l’ethnicisme pour unir comme pour diviser. Une approche proactive est nécessaire pour façonner les relations mondiales et les missions religieuses, en maximisant les impacts positifs tout en atténuant les négatifs.

Répercussion sur l’Église

Les activités missionnaires dans les pays en développement ont été critiquées parce qu’elles perpétuent l’impérialisme et le colonialisme.4 Ces activités étaient souvent considérées comme faisant partie du projet colonial, diabolisant les cultures locales comme inférieures.5 Des critiques comme Musa Dube et GM Soares-Prabhu soutiennent que les missionnaires étaient, consciemment ou non, des agents impériaux. Leurs activités ont été utilisées pour dominer la culture, imposer des valeurs et des normes étrangères et saper les cultures et les langues autochtones.6 L’objectif n’était pas seulement la conversion, mais aussi l’acculturation aux normes occidentales, renforçant l’hégémonie des colonisateurs.7

En outre, il est nécessaire d’aborder les perspectives historiques, notamment la nature sexo-spécifique du Mandat missionnaire. Dans les contextes postcoloniaux, ce mandat a été utilisée pour renforcer les structures patriarcales, marginalisant la voix des femmes et leurs expériences religieuses.8 Par conséquent, de nombreuses communautés postcoloniales ont réinterprété le Mandat missionnaire, le détachant des héritages coloniaux et patriarcaux. Elles l’ont réinventé comme un appel à la justice sociale, la libération et l’affirmation des cultures autochtones et du leadership féminin au sein de l’Église.

À mesure que le monde progresse vers 2050, il est attendu que l’Église mondiale se transforme, en particulier en ce qui concerne la perception et la mise en œuvre du Mandat missionnaire. S’orienter vers un dialogue plus dynamique influencé par une diversité d’expériences humaines plutôt que vers une approche statique est source d’espérance dans ce domaine. Le mandat missionnaire que Jésus nous a confié devrait faire l’objet d’une contextualisation, d’une réinterprétation et d’une résonance continues avec l’histoire et l’identité des cultures locales. L’objectif doit être de favoriser une interprétation plus inclusive et culturellement sensible du Mandat missionnaire, en renforçant sa pertinence dans un monde de plus en plus interconnecté mais diversifié.

Répercussions sur le Mandat missionnaire

Dans le contexte de l’ethnicisme, le Mandat missionnaire présente des difficultés d’interprétation importantes.9 Il est crucial de comprendre cela dans le cadre contextuel de la Bible, notamment en ce qui concerne ses implications pour l’évangélisation à l’horizon 2050. La croyance fondée sur Genèse 1.26-27, qui affirme que tout être humain est créé imago Dei (à l’image de Dieu), est au centre de ce discours, en ce qu’elle établit la valeur intrinsèque de l’individu indépendamment de son ethnicité. Ce principe trouve un écho dans la parabole du Bon Samaritain (Luc 10.25-37),10 qui démonte les préjugés ethniques et souligne l’amour sacrificiel envers tous nos prochains. De tels récits peuvent guider le dialogue interculturel et le respect mutuel.

Les Actes des Apôtres offrent d’autres perspectives. La prise de conscience de Pierre dans Actes 10.34–3511 souligne l’impartialité de Dieu et favorise l’inclusivité, en contrecarrant les préjugés ethnocentriques. Les résolutions du Concile de Jérusalem (Actes 15) et les affirmations théologiques dans Galates 3.28 et 1 Corinthiens 9.20–23 présentent des paradigmes inclusifs pour l’engagement chrétien, renversant les relations inégales de pouvoir et défiant l’ethnocentrisme tout en préservant les identités ethnoculturelles individuelles.12

L’ethnicité peut être exploitée positivement pour construire des ponts et s’engager dans des missions interculturelles.

L’ethnicité peut être exploitée positivement pour construire des ponts et s’engager dans des missions interculturelles. La vision eschatologique dans Apocalypse 7.913 illustre une communauté de foi transcendant les frontières ethniques. Compte tenu des enjeux de l’ethnicisme posés à l’Église, le modèle biblique encourage la reconnaissance de la valeur inhérente de chaque personne et plaide pour l’unité et la compréhension mutuelle au-delà des divisions ethniques. Cette approche propose une stratégie théologiquement fondée pour aborder les relations ethniques dans le cadre du témoignage chrétien mondial et de l’évangélisation à l’horizon 2050 et au-delà.

La façon de comprendre le Mandat missionnaire a considérablement évolué dans les contextes chrétiens, notamment dans les contextes postcoloniaux. Bien que le christianisme soit crédité d’avoir fait progresser l’éducation et les soins de santé à l’échelle mondiale, son histoire est marquée par des cas où les missionnaires, étroitement liés aux puissances coloniales, ont perturbé les cultures et les valeurs locales. Cette association a donné aux missions chrétiennes les couleurs de l’oppression coloniale. Alors que l’ethnicisme augmente à l’échelle mondiale, l’Église fait face à un moment charnière. Cette montée de l’ethnicisme pourrait affecter de manière significative et imprévisible les communautés mondiales et les paysages religieux. Influencées par l’ethnicisme, ces dynamiques mondiales ont des effets divers et complexes sur la façon dont l’Église comprend et interprète le Mandat missionnaire. L’avenir, avec le potentiel de combler ou d’élargir les lacunes, dépend de la capacité de l’Église à développer des théologies et une éthique de la mission qui résonnent avec les expériences des communautés qu’elle sert. Cette éthique théologique devrait être transformatrice, s’alignant sur la mission de réconciliation, de guérison, d’amour qui se donne et de justice réparatrice de Dieu, au cœur du Mandat missionnaire.

Difficultés et possibilités

La mission du Mouvement de Lausanne, proclamer l’Évangile, faire des disciples, développer des leaders à l’image du Christ et imprimer un impact du royaume sur tous les peuple en tout lieu suppose qu’il existe différents types de groupes de personnes. Un aspect important du mouvement missionnaire est la reconnaissance que les gens sont différents dans l’espace et dans le temps. Une façon de commencer à décrire cette différence passe par les catégories raciales-ethniques. Cet article considère que les catégories raciales-ethniques sont générées par des différences physiques géographiques, historiques, culturelles et politico-économiques. Pour ses auteurs, la notion de race implique une construction sociale de l’identité attachée à la différence phénotypique tandis que celle d’ethnicité implique une identité socialement construite liée à la culture. Aux fins de cet article, l’accent sera mis sur l’utilisation de la langue en tant que caractéristique principale de la culture. De plus, nous considérons l’ethnicisme comme similaire aux défis sociaux de l’ethnocentrisme et du racisme. Ethnicisme, ethnocentrisme et racisme sont des maux sociaux que l’Église chrétienne devrait chercher à éviter et à adoucir.

Mettre l’accent sur l’universalité de l’Évangile

Du point de vue de l’ethnicisme, le Mandat missionnaire fait face à deux difficultés. La première est la notion de l’universalité de l’Évangile chrétien pour toutes les personnes en tout lieu et en tout temps, sans marque de particularité ethnique. Il est vrai que l’Évangile chrétien a une portée et un attrait universels, lorsque nous regardons en particulier des passages comme Galates 3.28, qui déclare : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes tous un en Jésus-Christ. » Bien que l’Évangile de Jésus-Christ s’adresse à toutes les personnes en tout temps et en tout lieu, nous ne pouvons oublier que notre témoignage de cet Évangile est toujours communiqué dans un contexte et une culture particuliers et locaux.

Lorsque nous évangélisons, nous ne proclamons jamais l’Évangile dans un langage humain générique et universel. L’Évangile n’est jamais proclamé qu’en passant par la particularité d’une culture et d’une langue locales. L’inclusion dans le corps du Christ par la foi en Christ n’est jamais réalisée autrement que par l’œuvre particulière de l’Esprit Saint, dans la langue d’une culture locale. Une caractéristique distinctive de la foi chrétienne est sa possibilité illimitée de traduction (Lamin Sanneh) à tous les groupes de personnes par le biais de méthodes contextuelles spécifiques. Il est donc vital pour notre fidélité au Mandat missionnaire de toujours considérer l’attrait universel de l’Évangile, mais de ne le faire qu’à travers sa communication socialement incarnée. Une fois admis que le Mandat missionnaire ne pourra jamais être réalisé autrement que par le biais des langues locales (et non d’une langue générique et universelle), nous devons reconnaître le rôle important, significatif et nécessaire de l’ethnicité. Le caractère culturel-linguistique de la foi chrétienne (George Lindbeck), et donc l’incarnation sociale et ethnique de l’Évangile, sont des caractéristiques non négociables du Mandat missionnaire et de la transmission de la foi. À défaut de reconnaître ce juste caractère ethnique de tous les efforts du Mandat missionnaire, l’accent que nous plaçons sur la dimension universelle de ce dernier masquera notre témoignage ethnique particulier à l’Évangile. Il n’existe pas de témoignage acontextuel, désincarné ou générique de l’Évangile salvifique du Christ.

Confondre identité chrétienne et identité ethnique

La deuxième difficulté que doit affronter le Mandat missionnaire est à l’opposé de la première. Dès que le christianisme est considéré comme une religion culturelle et linguistique incarnée par et pour des groupes de personnes particuliers, parlant des langues particulières, la tentation (et donc la difficulté pour le Mandat missionnaire) est que cette identité ethnique devienne coextensive avec l’identité chrétienne. Cette co-extension revêt des formes multiples et pernicieuses, que ce soit dans la forme établie par le nominalisme chrétien d’État dont Søren Kierkegaard s’est plaint dans le luthéranisme danois, ou dans des formes virulentes de nationalisme chrétien de plus en plus évidentes dans des endroits comme les États-Unis. Être luthérien ou chrétien à l’époque de Kierkegaard, c’était simplement être danois et donc n’être chrétien que de nom (d’où l’appellation de nominalisme).

L’entrelacement d’identités ethniques et raciales particulières avec l’identité chrétienne se produit en partie à cause de la perte du caractère universel de l’identité chrétienne qui est reconnue commune à des groupes de personnes. La conversion au christianisme fait franchir dans un sens très légitime une frontière pour entrer dans ce que la Bible appelle le peuple de Dieu (Juges 20.2 ; 2 Samuel 14.13 ; Hébreux 4.9 ; Apocalypse 21.3). L’Écriture parle du peuple de Dieu comme d’un nouveau peuple ayant une nouvelle identité inscrite dans le cœur, en raison de la nouvelle alliance (Jérémie 31.31–34) établie par le sang du Christ. Certains érudits ont qualifié cette façon de parler du peuple chrétien de forme de raisonnement ethnique (Denise Buell). Lorsque l’identité chrétienne se confond avec l’identité ethno-raciale, l’identité ethno-raciale est baptisée et divinisée de manière problématique. Les péchés de l’esprit humain sont alors attribués à l’Esprit Saint, ce qui nuit alors au témoignage collectif du corps du Christ.

Dans le cas de la première difficulté, les chrétiens oublient le rôle que leur identité ethnique joue dans leur identité chrétienne et désirent faire le bien dans le monde en tant que chrétiens. Dans le cas de la deuxième, les chrétiens sont conscients de leur identité ethnique particulière et cherchent à dominer d’autres groupes ethniques par la rhétorique chrétienne.

Voie à suivre : la nature universelle et particulière du christianisme

La voie à suivre pour négocier le passage entre les tourbillons de Charybde et le rocher de Scylla que sont les difficultés d’une universalisation aveuglante et d’un particularisme pernicieux consiste à coordonner correctement les caractéristiques universelle et particulière de la foi chrétienne. La voie à suivre n’est ni l’un ni l’autre. Le christianisme est à la fois une religion universelle de salut et de transformation pour tous les peuples en tout lieu et en tout temps, mais il ne prend racine que dans les collectivités locales de pratiques culturelles et linguistiques particulières. Ces engagements ne sont ni concurrents ni exclusifs. L’identité ethnique est indispensable pour comprendre l’identité chrétienne, mais cela ne signifie pas qu’il n’existe pas d’identité chrétienne universelle pour tous en tout temps et en tout lieu. L’identité chrétienne n’est jamais séparée de l’identité ethnique, mais cela ne signifie pas que l’identité chrétienne soit simplement réductible à l’identité ethnique. Le mécanisme clé qui coordonne les caractéristiques universelles et particulières de la foi chrétienne sont les pratiques sociales de l’Église qui sont mutuellement reconnues comme des pratiques chrétiennes, indépendamment du temps et du lieu, par différents groupes de personnes. C’est l’affirmation que le corps du Christ est marqué par une catholicité remplie de l’Esprit. La difficulté pour le travail du Mandat missionnaire est de reconnaître l’œuvre radicale et transfrontalière du Saint-Esprit qui fait continuellement briller sa lumière sur l’unique Seigneur et Sauveur Jésus-Christ (J.I. Packer).

Parfois, l’Église universelle, ou dans sa catholicité, est confrontée à de nouvelles difficultés qui nécessitent discernement et reconnaissance spirituels. Cette reconnaissance ne peut être déterminée a priori mais doit être discernée spirituellement par la prière et la communion dans des rassemblements mixtes. Avec la montée des mouvements mondiaux qui rétrécissent notre monde par le commerce et la technologie, associée à l’exploitation et la domination continuelles des groupes de personnes marginalisées, le discernement spirituel de l’œuvre de l’Esprit Saint devra se poursuivre dans des rassemblements tels que le Quatrième congrès de Lausanne, en 2024.

Ressources

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  • Buell, Denise. Why This New Race: Ethnic Reasoning in Early Christianity. New York City: Columbia University Press, 2005.
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  • Cronshaw, D. “A Commission ‘Great’ for Whom? Postcolonial Contrapuntal Readings of Matthew 28:18–20 and the Irony of William Carey.” Transformation 33 (2016):110–123. https://doi.org/10.1177/0265378815595248
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  • Patte, Daniel. « Reading Matthew 28:16-20 with Others: How It Deconstructs Our Western Concept of Mission. » HTS 62 (2006): 521–557.
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Notes

  1. Bien que les fondements missiologiques et théologiques du Mandat missionnaire soient résumés dans les injonctions de Jésus aux disciples après sa résurrection dans Matthieu 28.19-20, l’étiquette « Mandat missionnaire », qui est maintenant utilisée comme une expression technique dans la théologie et la mission chrétiennes, a été popularisée et normalisée au 19ème siècle, en particulier au sein des mouvements missionnaires protestants. Cette appellation donnait aux missionnaires, aux évangélistes et aux théologiens une légitimité pour ce qu’ils considéraient comme un impératif missionnaire. Hudson Taylor, le missionnaire baptiste en Chine et fondateur de la China Inland Mission, est souvent cité comme une incarnation du Mandat missionnaire. Cf. “The Bible in Hudson Taylor’s Life and Mission, Part 1 & II” Global China Center, https://www.globalchinacenter.org/analysis/2014/03/28/the-bible-in-hudson-taylors-life-and-mission-part-ii
  2. Cf. Musa Dube, Pui-Lan Kwok, Postcolonial Imagination and Feminist Theology (Louisville:
  3. Cf. Daniel Patte, « Reading Matthew 28:16-20 with Others: How It Deconstructs Our Western Concept of Mission, » HTS 62 (2006): 521–557; Choan Seng Song. Theology from the Womb of Asia (Wipf and Stock Publishers, 2005); “Go therefore and make disciples of all nations (Mt 28:19a): A postcolonial perspective on biblical criticism and pedagogy,” in Teaching the Bible (ed. Fernando Segovia and Mary Ann Tolbert; Orbis Books: Maryknoll, NY, 1998); 224–245.
  4. Cf. Dube, “Go therefore and make disciples of all nations”; Song. Theology from the Womb of Asia; Young Chung, « A postcolonial reading of the Great Commission (Matt 28:16-20) with a Korean myth, » Theology Today 72 (2015): 276–288. https://doi.org/10.1177/0040573615601466
  5. Cf. Kwok, Postcolonial Imagination & Feminist Theology, 61.
  6. Cf. Dube, “Go therefore and make disciples of all nations (Mt 28:19a)”; Daniel Patte, « Reading Matthew 28:16-20 with Others: How It Deconstructs Our Western Concept of Mission, » HTS 62 (2006): 521-557; Ngugi Wa. Thiong’o, Decolonising the Mind: The Politics of Language in African Literature (London: J. Currey, 1986); Bengt Sundkler and Christopher Steed, A History of the Church in Africa. Soares-Prabhu argues that the Christian mission was « a mission more preoccupied with the aggrandizement of the missioner rather than the welfare of the missionized” (« Two Mission Commands: An Interpretation of Matthew 28:16-20 in the light of a Buddhist Text, » 333). He strongly critiques « the traditional triumphalistic exegesis of the Matthean passage » (Soares-Prabhu, 319); Bengt Sundkler and Christopher Steed, A History of the Church in Africa (Cambridge, UK: Cambridge University Press, 2000); Elizabeth Isichei, A History of Christianity in Africa: From Antiquity to the Present (Grand Rapids, Mich.: William B. Eerdmans Publishing, 1995).
  7. Cf. Musa, “Go therefore and make disciples of all nations (Mt 28:19a)”; Rs Sugirtharajah, “A postcolonial exploration of collusion and construction in biblical interpretation,” in The Postcolonial Bible (ed. Sugirtharajah RS. “Sheffield: Sheffield Academic Press, 1998): 91–116; The Bible and the third world: Precolonial, colonial and postcolonial encounters, (Cambridge: Cambridge University Press, 2001); Darren Cronshaw, « A Commission ‘Great’ for Whom? Postcolonial Contrapuntal Readings of Matthew 28:18–20 and the Irony of William Carey, » Transformation, 33 (2016): 110–123. https://doi.org/10.1177/0265378815595248
  8. See Mercy Amba Oduyoye, Daughters of Anowa. African Women and Patriarchy (Maryknoll (N.Y.): Orbis Books, 1995);Pui-Lan Kwok, Postcolonial Imagination and Feminist Theology (Louisville:
  9. Tout en reconnaissant l’histoire compliquée de l’accueil des activités missionnaires en Afrique subsaharienne, Lamin Sanneh a longuement étudié l’héritage colonial des activités missionnaires et la façon dont les communautés autochtones se sont réapproprié le « Mandat missionnaire » pour légitimer l’autonomie locale et la préservation culturelle. Sanneh a également souligné, à juste titre, que la traduction de la Bible dans les langues locales a non seulement autochtonisé le christianisme, mais aussi motivé, dynamisé et soutenu les cultures et les dialectes locaux contre l’homogénéisation coloniale. Cf. Lamin Sanneh, “Disciples of All Nations: Pillars of World Christianity” (New York: Oxford University Press, 2008; Translating the Message: The Missionary Impact on Culture (Maryknoll: Orbis Books, 1989); “Christian Mission and the Pluralist Milieu: The African Experience,” Missiology: An International Review, Vol.XII, (October 1984). See Jehu Hanciles, Euthanasia of a Mission: African Church Autonomy in a Colonial Context (Westport, Conn.: Praeger, 2002).
  10. La parabole du « Bon Samaritain » dans Luc 10.34–35 met l’accent sur l’amour au-delà des lignes ethniques.
  11. Actes 10.34–35 : « Alors Pierre commença à leur dire : « Je comprends vraiment que Dieu ne montre aucune partialité, mais en chaque peuple, quiconque le craint et pratique la justice lui est acceptable. » (NRSVUE). Actes 10.34-35 souligne l’impartialité et l’inclusivité de Dieu.
  12. Le Concile de Jérusalem et les enseignements de Galates 3.28 et 1 Corinthiens 9.20–23 fournissent des paradigmes chrétiens inclusifs.
  13. Apocalypse 7.9 : « Après cela, je regardai, et il y avait une grande multitude que personne ne pouvait compter, de toutes les nations, de toutes les tribus, de tous les peuples et de toutes les langues, debout devant le trône et devant l’Agneau, vêtus de blanc, avec des branches de palmier à la main. ».

Biographies des auteurs

Soojin Chung

Soojin Chung, PhD, est directrice du Overseas Ministries Study Center et rédactrice en chef de International Bulletin of Mission Research du Princeton Theological Seminary. Elle organise les cycles de conférences Gerald H. Anderson et enseigne au Département d'histoire et d'œcuménisme. Elle est l'auteure de Adopting for God: The Mission to Change America through Transnational Adoption (NYU Press, 2021). Ses recherches actuelles portent sur le racisme, l'ethnocentrisme et la xénophobie dans le christianisme mondial.

Alice Yafeh-Deigh

Alice Yafeh-Deigh, PhD, est professeure d'études religieuses à Azusa Pacific University en Californie. Elle est passionnée par l'éducation inclusive et travaille à promouvoir l'équité dans sa salle de classe. Alice défend fermement les interprétations interculturelles de la Bible et est impliquée dans diverses initiatives de traduction biblique. En tant que consultante en droits humains, elle travaille à l'élaboration de politiques éducatives qui profitent aux enfants sous-représentés au Cameroun, en se concentrant sur le soutien aux enfants porteurs de handicap.

David Chao

David C. Chao, PhD, est directeur du Center for Asian American Christianity au Princeton Theological Seminary. Il donne des cours de théologie américano-asiatique et organise des programmes de théologie et de ministère américano-asiatiques. Ses recherches et ses écrits sont axés sur la foi et la pratique des chrétiens asiatiques ordinaires dans des contextes diasporiques. Ses recherches sur la vie religieuse et politique américano-asiatique sont financées par la Fondation Henry Luce et le Louisville Institute.

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