« Nous voulons travailler avec vous, pas pour vous. »
C’est ainsi que les dirigeants de trois agences missionnaires indonésiennes ont résumé leur vision tout à fait compréhensible de l’interaction souhaitée entre leurs propres organisations et celles qui ont une structure internationale.1
Parlant de ces désirs raisonnables de partenariat missionnaire, Webster commente :
La réponse ne réside pas dans les modèles de dépendance ou d’indépendance, mais dans le rétablissement de l’interdépendance qui a marqué l’action missionnaire des Églises du Nouveau Testament, conscientes du fait qu’il n’y a qu’un seul Esprit. L’avenir de la mission de l’Église dans le monde réside aujourd’hui dans cette unité spirituelle fondamentale et dans l’interdépendance des Églises, jeunes et anciennes.2
Rares sont ceux qui contestent ces principes bibliques fondamentaux. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont du mal à les appliquer. Lors d’une conférence missionnaire ayant pour slogan « Le partenariat dans l’obéissance », un pasteur indonésien en visite a déclaré à un professeur néerlandais : « Oui, le partenariat pour vous, l’obéissance pour nous. »3
La persistance d’un tel vécu est un motif de lamentation. Le fait qu’il ait lieu alors que le monde majoritaire envoie aujourd’hui plus d’ouvriers dans la moisson que l’Occident est un sujet de réflexion sérieuse sur le modèle des agences missionnaires internationales.4 Que faut-il changer ? Quels nouveaux modèles pourrions-nous adopter ? Ceux qui encouragent l’humilité à la place de l’orgueil, la mutualité à la place de la gestion, et la collaboration à la place du contrôle.
Et comment les agences et les Églises du monde majoritaire pourraient-elles encourager nous qui sommes en Occident à fonder nos bonnes intentions sur des partenariats d’envoi en mission fondés sur la mutualité et englobant l’Église mondiale ?
Les enjeux du modèle international
Si l’on parle aujourd’hui de polycentrisme dans les milieux missionnaires et dans les organisations missionnaires internationales, c’est souvent, malgré tout, la structure multinationale qui persiste. Les stratégies d’internationalisation des organisations missionnaires nées dans un pays et qui ont ajouté des bases d’envoi dans d’autres pays occidentaux se sont simplement étendues, ces dernières années, à des pays du monde majoritaire.
Si cette ambition d’élargir la portée de la mobilisation part d’une bonne intention, ces organisations se retrouvent aux prises avec les conséquences d’une structure, d’une direction, d’une langue, d’une culture et de processus décisionnels centralisés : l’organisation peut être internationale en termes de personnel, mais occidentale en termes d’organisation et de structures.5
Kang-San Tan en approfondit les conséquences en déclarant que « … le risque que le pouvoir ne soit pas décentralisé reste énorme ».6 Il propose une voie à suivre qui nécessiterait que le leadership missionnaire occidental soit « radical plutôt que réformiste, et désireux de procéder à des changements structurels intentionnels plutôt que de s’engager dans des théories et une rhétorique de la mission ».7 La question clé est de savoir à quoi pourraient ressembler ces changements. En outre, des changements aussi radicaux sont-ils possibles dans les grandes organisations internationales où la prise de décision peut être lente, l’histoire difficile à démêler et la mainmise sur le contrôle difficile à lâcher ?
L’organisation que je contribue à diriger – l’agence missionnaire britannique UFM Worldwide – a beaucoup réfléchi à ces questions. Compte tenu des enjeux décrits ci-dessus, nous nous sommes demandé comment nous pourrions nous associer aux mouvements missionnaires émergents du monde majoritaire, sans pour autant étendre nos structures dans ces pays. Voici trois exemples concrets des moyens que nous avons mis en œuvre pour chercher à y parvenir.
Faire un pas en arrière, avant d’en faire un en avant : transmission de nos structures au Brésil
Pour les praticiens de la mission zélés, le développement des structures existantes est généralement plus attrayant que leur fermeture ou leur retrait. Mais s’il y a vraiment un temps pour tout sous le soleil, alors nous devons faire preuve de moins de crispations à l’égard de nos organisations.
Pendant plus de 50 ans, UFM a travaillé en partenariat avec deux autres organisations missionnaires occidentales au Brésil, créant ainsi une organisation appelée MICEB.8 Cette « structure de terrain », comme tant d’autres, concernait : des propriétés, des véhicules, des projets et des stratégies menés par les agences. Dans sa bonté, Dieu a merveilleusement utilisé ce modèle, et un grand nombre de personnes ont connu le Seigneur par son intermédiaire. Une petite plaque à l’entrée du bureau d’UFM honore même la mémoire de trois partenaires missionnaires martyrisés alors qu’ils apportaient l’Évangile à une tribu non atteinte.
Mais le temps a passé, les Églises se sont établies, le contexte a changé. Radicalement. Qu’allions-nous donc faire de l’ancienne structure missionnaire occidentale ?
En novembre 2021, j’ai eu le privilège de participer à une conférence spéciale sur la nationalisation de MICEB. Lors de cette conférence, la direction de MICEB a été confiée à quatre responsables brésiliens d’AICEB, une dénomination comptant près de 600 Églises, avec laquelle les travailleurs d’UFM avaient travaillé au fil des ans.9 MICEB deviendra désormais l’agence missionnaire locale d’AICEB, qui enverra de plus en plus de Brésiliens en mission à l’étranger.
Le retrait d’une structure historique chargée d’histoire, de sacrifices et de souvenirs ne s’est pas fait sans douleur. Pourtant, une nouvelle structure d’envoi en mission, dirigée localement, a été mise en place. Ceux qui étaient là aux débuts auraient-ils pu souhaiter un héritage plus palpitant que celui-là ?
Les relations futures entre MICEB et UFM sont en cours de discussion. Étant donné la chaleur de la communion fraternelle construite au fil des ans, il existe un désir naturel de partenariat pour l’avenir. L’équipe pastorale d’UFM pourrait-elle aider les partenaires missionnaires brésiliens qui servent en Europe ? Les Brésiliens pourraient-ils être encouragés à venir servir au Royaume-Uni ? Qu’est-ce que les mobilisateurs brésiliens peuvent apprendre à l’Église britannique sur la manière de voir, dans la prière, une nouvelle génération d’ouvriers de l’Évangile formés et équipés pour le service ?
Le partenariat, pas le paternalisme : revoir nos relations en Côte d’Ivoire
L’une des principales lacunes stratégiques des organisations missionnaires internationales semble être la tendance à négliger les structures d’envoi en mission que Dieu a déjà mises en place dans le monde entier – à savoir les Églises locales et leurs dirigeants. Toute participation occidentale à l’envoi en mission devrait se faire à la demande des Églises nationales, et non en fonction du désir de croissance de l’organisation occidentale.10
C’est dans cette optique que UFM a récemment passé en revue son partenariat historique avec la dénomination ivoirienne locale UEESO-CI.11 UFM a une longue histoire de travail dans le pays, mais aujourd’hui il n’y a plus de partenaires missionnaires d’UFM dans ce pays. En effet, l’Église envoie désormais ses propres partenaires missionnaires, en particulier au Liberia voisin. Le président de la dénomination, Gueu Siméon, a invité UFM à un partenariat pour former, envoyer et soutenir cette nouvelle génération de travailleurs missionnaires qu’ils envoient.
UFM n’a pas l’intention d’étendre ses structures organisationnelles à la Côte d’Ivoire pour faciliter ce processus. Nous avons plutôt soutenu les structures déjà en place, en partageant notre expérience de l’envoi en mission que les dirigeants ivoiriens pourront eux-mêmes ancrer dans le contexte ivoirien.
Ce nouveau partenariat a été initié par nos frères et sœurs d’Afrique de l’Ouest et nous n’avons aucune fonction exécutive dans leur travail. Nous sommes convaincus que cela atténuera le danger de paternalisme et permettra à un véritable partenariat épanoui de faire de nous tous les témoins du travail passionnant que le Seigneur accomplit en suscitant une nouvelle génération d’agents missionnaires ivoiriens.
La collaboration, pas le contrôle : un nouveau réseau pour promouvoir la mutualité dans l’envoi en mission
En explorant ce que veut dire le partenariat dans l’envoi en mission pour l’Église mondiale, se pourrait-il que nos instincts soient devenus trop structurels ? Se pourrait-il que notre stratégie basée sur l’établissement d’organisations entrave l’objectif même que nous voulons atteindre, nos structures limitant l’envoi de travailleurs pour des raisons culturelles ou financières ?
C’est ce que nous avons observé pendant le temps où nous avons eu une action missionnaire en Indonésie. Agus était un étudiant en théologie très consacré et passionné par la mission.12 Le Seigneur avait déposé sur son cœur un fardeau pour le Japon. Nous l’avons encouragé à effectuer un stage d’été dans ce pays et l’avons mis en contact avec des amis travaillant dans ce pays avec une organisation missionnaire internationale. Pour dire les choses brièvement, l’inflexibilité du système financier de l’agence occidentale est devenue un obstacle infranchissable à son entrée dans l’organisation.
Existe-t-il une alternative aux grandes structures d’agences missionnaires multinationales ? Quelque chose qui conserverait les avantages des relations internationales, mais qui maintiendrait la prise de décision et les modèles appropriés d’envoi en missions entre les mains de ceux qui sont sur le terrain ?
Chez UFM, nous sommes en train d’étudier ce que l’on pourrait appeler une réponse relationnelle, plutôt que structurelle, à cette question. Le modèle ci-dessous présente un réseau ou une communion d’organisations d’envoi en mission et d’Églises qui s’associent de plein gré.13
Outre les partenaires déjà mentionnés au Brésil et en Côte d’Ivoire, nous souhaitons collaborer de manière mutuelle avec d’autres groupes d’envoi en mission avec lesquels nous entretenons des relations, en République démocratique du Congo, en Indonésie et à Singapour.
Au sein du réseau, chaque groupe de partenaires est :
- Dirigé localement, ne relevant pas d’une direction internationale ;
- Libre de poursuivre les modèles d’envoi en mission les plus appropriés à son contexte ;
- Indépendant des autres, aucun groupe n’ayant d’autorité exécutive sur un autre.
En tant qu’organisation, nous voulons encourager et soutenir les groupes d’envoi en mission émergents, tout en apprenant des nouveaux modèles que Dieu déposera sur leur cœur. Voici quelques pistes possibles :
- Partager des idées tirées de l’histoire de UFM en matière de soutien aux travailleurs interculturels, avec des responsables nationaux qui ensuite ancrent et appliquent ces principes dans leur contexte personnel ;
- Contribuer à la formation des responsables d’agences missionnaires et des responsables d’Églises, en particulier en ce qui concerne l’envoi en mission ;
- Proposer un partenariat financier, sans conditions, par exemple un financement de départ pour la création d’une nouvelle agence missionnaire locale ;
- Inviter les responsables des partenaires à partager leur expérience lors des conférences de UFM ;
- Faciliter la venue de partenaires de la mission mondiale majoritaire pour servir en Europe.
Le modèle fonctionnera mieux s’il existe un véritable polycentrisme au sein de la communauté, l’apprentissage étant partagé dans toutes les directions entre les groupes constitutifs.14 Avant d’établir trop clairement comment ce réseau pourrait fonctionner, nous prévoyons d’organiser en 2025 la première réunion en personne d’un tel groupe, pour se mettre à l’écoute des idées, suggestions et espoirs de tous les partenaires.
Conclusion : passer à l’étape suivante
Nous avons commencé par les paroles de trois dirigeants d’agences missionnaires indonésiennes : « Nous voulons travailler avec vous, pas pour vous. »
Alors que vous réfléchissez à tout ce que le Seigneur fait en suscitant des travailleurs dans l’ensemble de son Église mondiale, voici quelques questions qui pourront vous aider à franchir la prochaine étape, à savoir encourager un plus grand sens de mutualité dans l’envoi en mission aujourd’hui.
Si vous faites partie d’une organisation de mission internationale :
- Existe-t-il dans votre organisation des structures qui pourraient être fermées ou réaffectées pour faciliter le service en mission des autres ?
- Avez-vous des relations historiques avec les Églises nationales qui devraient être rafraîchies pour promouvoir le partenariat et non le paternalisme ?
Si vous envoyez depuis le monde majoritaire :
- Réfléchissez aux modèles d’envoi en mission que vous souhaiteriez poursuivre si vous pouviez partir de zéro. Quelles leçons les organisations internationales peuvent-elles en tirer ?
- Quels obstacles les structures bien intentionnées des organisations internationales dressent-elles devant votre ministère d’envoi ? Comment communiquer au mieux avec ces groupes ?
Notes
- Michael Prest, ‘The West with the Rest? Exploring the Role of UFM Worldwide in the Sending of Overseas Cross-Cultural Missionaries from the Indonesian Church’ (MTh diss., University of Glasgow, 2022), 204–205.
- Warren W. Webster, ‘The Nature of the Church and Unity in Mission,’ in New Horizons in World Missions, ed. David J. Hesselgrave (Grand Rapids: Baker Book House, 1979), 247.
- Stan Nussbaum, A Readers’ Guide to Transforming Mission (Maryknoll, NY: Orbis Books, 2005), 120.
- See, eg Steve (Heung Chan) Kim, ‘A Newer Missions Paradigm and the Growth of Missions from the Majority World,’ in Missions from the Majority World: Progress, Challenges and Case Studies, ed. Enoch Wan and Michael Pocock (Pasadena: William Carey Library, 2009), 14.
- Marty Shaw, Jr., ‘The Future of Kingdom Work in a Globalizing World,’ accessed 27 April 2024, https://www.lausanne.org/content/lop/globalization-gospel-rethinking-mission-contemporary-world-lop-30.
- Kang-San Tan, ‘Western Dominance in World Mission: A Time for Change? A Response from an Asian Perspective,’ CMF Thinking Mission Forum, 25 May 2011, accessed 14 April 2024, https://www.academia.edu/1988925/The_modern_missionary_movement_an_era_of_Western_dominance_Was_it_all_bad_and_where_do_we_go_from_here.
- Tan, ‘Western Dominance.’
- Missão Cristã Evangélica do Brasil, the ‘Evangelical Christian Mission of Brazil’ was a partnership formed in 1967 between UFM Worldwide from the UK, Crossworld from the USA, and SAM-Global from Switzerland.
- Alianças das Igrejas Cristãs Evanélicas do Brasil, the ‘Alliance of Evangelical Christian Churches in Brazil.’
- Note de la rédaction : VoirLes étrangers sont-ils encore nécessaires à l’ère de la mission autochtone ?’par Kirst Rievan dans l’Analyse mondiale du Mouvement de Lausanne, juillet 2021 https://lausanne.org/fr/global-analysis/les-etrangers-sont-ils-encore-necessaires-a-lere-de-la-mission-autochtone.
- Union des Eglises Evangéliques Services et Oeuvres de Côte d’Ivoire, the Union of Evangelical Churches, Works and Services of Ivory Coast.
- Name changed for sensitivity reasons.
- Prest, ‘The West with the Rest?’ 208.
- Note de la rédaction : Voir Le polycentrisme comme nouveau paradigme pour l’exercice de la fonction de direction, par Joseph W. Handley dans Analyse mondiale du Mouvement de Lausanne,mai 2021, https://lausanne.org/fr/global-analysis/le-polycentrisme-comme-nouveau-paradigme-pour-lexercice-de-la-fonction-de-direction.