« Le leadership est la cause et tout le reste est l’effet »,1 cite l’universitaire ghanéen et ancien administrateur public, le professeur Stephen Adei. Il existe de nombreuses théories du leadership — démocratique, transactionnel, transformationnel, autocratique et bien d’autres encore — mais quelle est celle que doit suivre le chrétien ? Comment nos cultures motivent-elles les chrétiens à devenir des leaders à l’image du Christ ?
Leadership au service des autres : un échantillon de perspectives venant du Ghana, de l’Australie et de la Corée du Sud
La culture Akan—Ghana
Les symboles « adinkra » de la culture Akan au Ghana sont utilisés dans les tissus, les poteries et les dessins architecturaux. L’un d’eux, le Nea opese odedi hene, ce qui signifie « celui qui veut être roi », est un symbole de service et de leadership. Ce symbole résulte de l’expression Nea ope se obedi hene daakye no, firi ase sue som ansa et signifie : « Celui qui veut être roi un jour doit d’abord apprendre à servir ». Bien que l’idéal du leadership au service des autres présent chez les Akans soit culturellement apparent dans les symboles adinkra, sa mise en pratique est peu commune et peu biblique. Il est intéressant de noter que les chefs ghanéens sont transportés dans des palanquins et accompagnés par toutes sortes de protocoles les empêchant de servir leur peuple. David Miller, dans son article intitulé « Servant Leadership in an African Village », raconte : « Dans les villages, les chefs jouissaient d’un grand privilège et le peuple était au service des chefs. Il nous a dit que les pasteurs avaient tendance à se comporter comme des chefs dans l’Église, dominant leur communauté et s’attendant à être honorés pour leur position élevée. »2
La culture des aborigènes et des insulaires du détroit de Torres — Australie
En Australie, les Aborigènes et les insulaires du détroit de Torres sont des modèles de leadership au service des autres. Ils ont été opprimés et dénigrés pendant des siècles par leurs colonisateurs. Cependant, au lieu de répondre par l’hostilité, ils répondent en offrant à leurs anciens oppresseurs l’amitié, le pardon et l’ouverture à la réconciliation. Les habitants des îles auraient pu taire leur sagesse et leur connaissance approfondie de la terre, mais ils la transmettent humblement à la génération suivante. Erica Mandi Manga, pasteure adjointe et défenseure de la justice à l’Église anglicane St Barnabas de Balwyn, dans l’État de Victoria, déclare : « Il est tragique que nous ne soyons pas plus nombreux à les écouter. Mais le fait qu’ils continuent à offrir leur savoir témoigne de leur humilité et de leur grâce. »3
Le style de leadership «servez moi» qui conduit à de malheureux abus envers le personnel et les bénévoles dans certaines organisations chrétiennes est en tension avec le leadership au service des autres. Bien que le concept de « leadership au service des autres » existe dans la culture australienne, il n’est guère mis en pratique. Il y a néanmoins de nombreux hommes et femmes tout à fait remarquables qui sont d’authentiques leaders au service des autres et se consacrent à inviter des jeunes, à dîner avec eux et à passer du temps dans des conditions d’authenticité avec eux afin de se laisser inspirer par leur caractère et leurs dons.4
La culture sud-coréenne
La culture sud-coréenne apparaît comme profondément hiérarchique, de même que le style de leadership qui prévaut dans cette culture. Ainsi, dans l’environnement coréen, il existe, dans les organisations, une chaîne de commandement qui est clairement définie, du niveau le plus bas au niveau le plus élevé. Joshua Rho, pasteur de l’Église Onnuri, estime que le fossé hiérarchique entre les générations plus âgées et plus jeunes est en train d’être comblé par l’ère numérique. Les jeunes sont plus vifs et ont facilement accès à l’information, tandis que la génération plus âgée, qui paraissait jusqu’à présent plus sage, n’a plus que des avantages matériels à faire valoir.5 En dehors de l’influence du christianisme, l’Église sud-coréenne ne peut que rarement montrer des exemples de leadership serviteur dans sa culture.
Il n’en est pas de même parmi vous : l’invitation radicale de Jésus à être serviteur
Dieu invite chaque culture à adopter une perspective biblique et christique de la vie. Jésus propose un changement de paradigme du leadership qui dépasse tous les idéaux culturels, que le texte ci-dessous explique :
« Jésus les appela et leur dit : Vous savez que ceux qui paraissent gouverner les nations dominent sur elles en seigneurs, et que les grands leur font sentir leur autorité. Il n’en est pas de même parmi vous. Au contraire, quiconque veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et quiconque veut être le premier sera l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude. » (Marc 10.35-37, 41-45 ; c’est nous qui soulignons)
Le récit de Marc met fortement en évidence la distinction que Jésus veut faire entre le modèle christique et le style de leadership du monde, souvent caractérisé aujourd’hui par la posture du chef d’entreprise qui dirige ou gère les relations humaines. Jésus enseigne que le berger est appelé à donner sa vie pour ses brebis (Jean 10.15) et à être esclave (Marc 10.44). Le leadership à l’image du Christ est une vie de service et de don de soi, fût-ce jusqu’à la mort ! Jésus l’a scellé par un exemple pratique, sur la croix, lorsque, prenant la position d’esclave, il a montré ce qu’est la vraie grandeur en mourant et en parvenant par là à la gloire.
Le récit de Jean où Jésus lave les pieds des disciples commence ainsi : « Jésus, qui sait que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va à Dieu ». (Jean 13.3-5) Pour être un leader au service des autres, comme l’était le Christ, il faut un leader qui ait une profonde conscience de ce qu’il est lui-même et de qui est Dieu. Selon Jean Calvin, « presque toute la sagesse que nous possédons… présente un double aspect : la connaissance de Dieu et de nous-mêmes.6 » Thérèse d’Avila pour sa part a écrit : « Presque tous les problèmes de la vie spirituelle proviennent d’un manque de connaissance de soi. »7 Le leadership fait de nombreuses victimes parce que ceux qui sont appelés à diriger sont plongés dans une crise d’identité — identité souvent contrôlante, manipulatrice et peu sûre d’elle, définie par leur position, leur activité et leurs associations.
Jésus, quant à lui, propose un leadership qui se définit par la relation avec notre Père céleste. Un leader au service des autres comme l’était le Christ doit être conscient que pour servir et édifier les autres il est aimé et accepté par Dieu. Ce que le Christ propose n’est pas seulement un leadership au service des autres, mais que ce leadership soit incarné. Ce style de leader s’identifie à ceux qui le suivent, vit leur vie, participe à leurs activités banales et meurt de leur mort. Le professeur Asamoah-Gyadu, ancien président du Trinity Theological Seminary à Accra, au Ghana, a un point de vue utile à ce sujet :
« Dans l’Incarnation, le Créateur devient une partie de ce qu’il a créé pour le racheter de la corruption. […] Le Christ transforme alors toutes les cultures et valeurs humaines parce qu’elles ont été créées pour lui et qu’elles sont pour lui. Le facteur Christ est censé transformer l’approche païenne de la direction pour qu’elle réponde aux normes divines et non humaines. […] Ce qui permet de qualifier de « chrétienne » une forme particulière de leadership, c’est qu’elle s’inspire du modèle établi et vécu par le Christ, tel qu’illustré dans l’Incarnation et la croix. » 8
Qu’est-ce qui transforme vraiment ? : Images du leadership incarné au service des autres
Alors, à quoi ressemble le leadership au service des autres de ce modèle d’incarnation dans nos divers contextes ?
Ce pourrait être des professeurs d’université au Ghana qui lavent les assiettes des lycéens et des étudiants pendant les camps de La Ligue. Un participant à l’un de ces camps se souvient d’un Ghanéen plus âgé qui lui a pris son assiette et l’a lavée, avant de la passer à sa femme pour qu’elle la sèche. Le lendemain, le vieux monsieur a voulu recommencer. Le garçon a demandé à un ami qui est cet homme. « C’est le professeur Bentsi-Enchill », lui a-t-on répondu. Il se souvient de sa réaction : « Un professeur a lavé mon assiette ! Depuis ce jour, j’ai enterré tout l’orgueil qui était en moi. »9
Ce style de leadership pourrait également s’exprimer comme l’a fait cette semaine lors du quatrième congrès de Lausanne le Dr Doug Birdsall, coprésident honoraire du Mouvement de Lausanne, en trouvant le temps de s’asseoir avec de jeunes leaders comme moi, de leur parler et de les écouter.
Cela pourrait ressembler à l’expérience de Leo Rhee, pasteur principal de l’Église City Light de Séoul. Le pasteur Rhee a servi dans une méga église où le pasteur principal confiait comme première responsabilité, à chaque pasteur ainsi qu’à chaque ancien de l’Église, durant sa première année de service, de nettoyer les toilettes. Les anciens, quant à eux, pouvaient être des PDG de grandes entreprises, des personnes influentes, et ils nettoyaient les toilettes. La deuxième année, ils étaient chargés de s’occuper du parking. De cette manière, le pasteur principal a amené les pasteurs à réfléchir à ce qu’était un leadership incarné.
Paul donne l’image la plus profonde du leadership incarné par le Christ : « Ayez entre vous les dispositions qui sont en Jésus-Christ : lui qui était vraiment divin, il ne s’est pas prévalu d’un rang d’égalité avec Dieu, mais s’est vidé de lui-même en se faisant vraiment esclave, en devenant semblable aux humains ; reconnu à son aspect comme humain, il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort – la mort sur la croix. » (Philippiens 2I5-9).
Conclusion
En tant que leaders incarnés au service des autres, nous sommes appelés à être des serviteurs de l’Évangile, des serviteurs du Saint-Esprit, de l’Église, des autres et en particulier des perdus.10 Et c’est en Jésus-Christ que toutes les aspirations de toutes les cultures sont satisfaites.
Notes
- https://thebftonline.com/2022/05/23/leadership-a-conversation-with-professor-stephen-adei-the-man-who-redefined-public-administration-in-ghana/, 23 May 2022. Accessed 28 September 2024.
- Dave Miller, ‘Servant Leadership in an African Village’, https://sbcvoices.com/servant-leadership-in-an-african-village/. Accessed 26 September, 2024.
- Erica Mandi Manga interview by Nana Kojo Aboagye-Obeng, 24 September 2024, Fourth Lausanne Congress, Songdo, Incheon.
- Bobby Aitken interview by Nana Kojo Aboagye-Obeng, 24 September 2024, Fourth Lausanne Congress, Songdo, Incheon.
- Joshua Rho, interview by Nana Kojo Aboagye-Obeng, 25 September 2024, Fourth Lausanne Congress, Songdo, Incheon.
- https://www.ccel.org/ccel/calvin/institutes.iii.ii.html Accessed 27 September 2024
- Teresa of Avila, The Life of Teresa of Jesus: The autobiography of Teresa of Avila. Transl. E. Allison Peers, 1995.
- Johnson Kwabena Asamoah-Gyadu, ‘Christian Leadership’, Trumpet Magazine, Issue One, Ghana Fellowship of Evangelical Students, Accra, 2022, p. 11.
- Peter Baker and Boadi-Siaw, Changed by the Word: The story of Scripture Union Ghana. (Accra, Ghana: Asempa Publishers, African Christian Press, 2003). pp. 24-25
- Philip Ryken, “Christlike Servanthood.” Plenary at the Forth Lausanne Congress, Songdo Convensia, Incheon. 27 September 2024.