Une femme était convaincue de la véracité de l’Évangile mais ne voulait pas l’accepter pour elle-même. Le principal obstacle à son adhésion à la foi chrétienne était le sort de sa défunte mère.
« Si Jésus est le seul moyen d’obtenir la vie éternelle en présence de Dieu, je devrais vivre avec la terrible pensée que ma mère, qui est morte bouddhiste, est maintenant perdue à jamais et que je ne pourrai plus jamais être avec elle si je deviens chrétienne. C’est une vérité trop affreuse et douloureuse pour que je l’accepte. »
Cette histoire trouve un écho familier chez de nombreux Asiatiques de l’Est.
Le dilemme
Pour de nombreux Asiatiques de l’Est, le sort terrible réservé à ceux qui meurent sans le Christ signifie que celui qui choisit de suivre Jésus sera éternellement séparé de sa famille et de ses ancêtres non croyants.
Si cela est vrai pour chacun d’entre nous, cela revêt un sens particulier pour les Asiatiques de l’Est, car cette croyance implique d’avoir à choisir entre le salut personnel et le devoir d’aimer et de respecter ses parents et ses ancêtres. Beaucoup, même s’ils sont convaincus de sa vérité, ont choisi de rejeter l’offre de salut personnel par le Christ par respect pour leurs proches décédés. Cette raison de rejeter l’Évangile laisse perplexes certains d’entre nous, mais quand nous pensons aux valeurs culturelles et religieuses qui sous-tendent cette décision, nous pouvons commencer à comprendre le dilemme.
Comprendre la dévotion filiale
Dans le monde majoritaire, la vie et la réalité sont abordées de manière collective. Les intérêts personnels sont souvent subordonnés à ceux du groupe, et les décisions sont prises en fonction de ce qui est meilleur pour la communauté plutôt que pour l’individu. Ainsi, la décision d’accepter le salut personnel qui ne concerne que l’individu sera perçue non seulement comme égocentrique, mais aussi comme contraire à la norme qui exige de faire passer l’intérêt de la communauté avant celui de l’individu. Une telle décision est perçue comme encore plus honteuse lorsque la communauté en question est sa famille ou ses parents.
Vue sous l’angle d’une culture d’Asie de l’Est, c’est une décision qui porte atteinte à l’attente cardinale de piété filiale. Même si cet impératif moral de respecter et d’aimer nos parents existe dans toutes les cultures, la dévotion filiale tient une place centrale exceptionnelle dans les cultures d’Asie de l’Est. Le confucianisme, qui a fortement influencé les cultures chinoise, japonaise et coréenne, enseigne que la piété filiale est la plus grande des vertus, et que ne pas s’en acquitter équivaut à renier ses parents.
Ce devoir et cette allégeance envers nos parents et nos ancêtres est une obligation inconditionnelle à remplir envers les vivants et les morts.[1] Vis-à-vis de nos aînés décédés, nous sommes censés accomplir certains rituels destinés à assurer leur bien-être dans l’au-delà. Par ailleurs, notre devoir envers les parents ou les aînés encore en vie voudrait que nous privilégiions leurs intérêts et leurs désirs avant les nôtres. Par conséquent, si nos parents s’opposent à notre conversion, nous devons nous conformer à leurs souhaits.[2] Nous sommes également censés nous efforcer de toujours être en mesure de les aimer et de les servir. Or, si nous devenons chrétiens alors que nos parents sont décédés sans avoir eu l’occasion d’entendre l’Évangile, cela signifierait que nous les abandonnons en enfer. C’est là que réside le dilemme : devenir chrétien ou manquer à nos devoirs filiaux.
Éclairage théologique : ce qu’il ne faut pas dire
Les nombreuses personnes, qui désirent voir davantage d’Asiatiques de l’Est devenir disciples de Jésus, souhaitent trouver un moyen de résoudre ce dilemme. Il n’y a pas de moyen simple ou facile de résoudre cette énigme missiologique, mais nous pourrions éviter les deux affirmations suivantes.
1. Éviter de souligner la certitude absolue que ceux qui meurent sans avoir entendu l’Évangile sont en enfer, sous prétexte que l’Écriture est claire sur le fait que le jugement vient après la mort (Hébreux 9.27) et que ceux qui sont en Christ ne seront pas condamnés (Romains 8.1-2).
Dieu est le seul à avoir la prérogative de juger et à avoir la connaissance de notre destin. Il serait très présomptueux de déclarer avec une autorité absolue que ceux qui n’ont pas exprimé leur foi dans le Christ au moment de leur mort sont perdus pour l’éternité, car souvent nous ne savons pas si une personne a persisté dans son rejet du Christ jusqu’à son dernier souffle.[3] En fait, la prise de conscience de la mort imminente amène souvent à se souvenir de l’Évangile qui a été communiqué auparavant et à se repentir authentiquement. Par conséquent, dans de nombreux cas, nous n’avons qu’une idée probable, mais non absolue, du sort des non-croyants décédés.
2. Évitez de dire que ceux qui n’ont pas eu la chance d’entendre l’Évangile et / ou de croire en Jésus dans cette vie auront une seconde chance après la mort. Rien dans les Écritures ne soutient cette croyance. Au contraire, des paraboles comme celle de l’homme riche et de Lazare affirment que personne ne peut passer de l’enfer au paradis après sa mort (Luc 16.24-26). Hébreux 9.27 est également clair : le jugement vient après la mort. En outre, l’Écriture ne dit pas que le jugement final dépend de ce qui a été fait après notre mort, mais seulement de ce qui s’est passé dans cette vie (Matthieu 25.31-46 ; Romains 2.5-10).
L’idée qu’il devrait y avoir une seconde chance d’accepter Jésus après la mort suppose que tout le monde a droit à une chance d’accepter le Christ et que seuls ceux qui décident consciemment de le rejeter sont passibles du châtiment éternel. Cependant, personne ne mérite l’acceptation de Dieu, et ce n’est que par la grâce de Dieu que cela nous est offert en Christ. La croyance au châtiment éternel est certainement difficile à accepter pour nous, mais l’Écriture est claire à ce sujet. Cela devrait nous inciter à partager l’Évangile de toute urgence.[4]
S’inscrire dans le contexte
Plutôt que de soutenir l’un ou l’autre de ces deux points de vue, nous pouvons naviguer dans cette situation difficile sur le plan missiologique en nous en tenant fermement à ce qui a été révélé au sujet de Dieu, à savoir que Dieu est bon et miséricordieux et que, par amour pour les pécheurs et par désir de les voir revenir à lui, il a sacrifié son Fils pour prendre sur lui le châtiment que méritent nos péchés. Dans sa grâce, il nous donne la liberté et la possibilité, dans notre vie actuelle, de choisir la vie avec lui (2 Pierre 3.9). En tant que Dieu souverain, il est le seul à connaître notre cœur et il est le seul à avoir la prérogative de juger qui mérite le châtiment éternel.
Comme le dit si bien le regretté apologiste Norman Geisler : « Car Dieu, dans sa sagesse et sa bonté, ne permettrait à personne d’aller en enfer tout en sachant qu’elle serait allée au ciel s’il lui avait donné plus d’occasions. »[5] Par conséquent, nous pouvons être sûrs qu’autant nous pouvons aimer nos parents, Dieu les aime encore plus. Dans son omniscience, il leur aurait tendu la main.
Nous devons également souligner que les Écritures présentent une attitude très positive à l’égard des ancêtres – s’en souvenir, les honorer et les respecter. La généalogie détaillée de Jésus dans l’évangile de Matthieu nous permet de comprendre que ses ancêtres n’ont pas été ignorés. En fait, les cultures du Proche-Orient ancien partagent de nombreuses similitudes avec les cultures de l’Asie de l’Est – le respect envers les parents, les aînés et les ancêtres en fait partie. Dans cette optique, nous ne sommes pas censés abandonner nos aînés quand nous devenons disciples de Jésus. Au contraire, nous sommes censés honorer Dieu en honorant nos parents.
Même si nous cherchons des moyens de répondre à cette préoccupation de nos amis d’Asie de l’Est, nous devons reconnaître qu’il n’y a pas deux personnes identiques, et que notre présentation de l’Évangile doit être contextualisée.[6] La conversion est l’œuvre de l’Esprit Saint en coopération avec le non-croyant. Nous sommes appelés à être simplement obéissants et fidèles pour témoigner de la bonne nouvelle de Jésus. Une conversation interreligieuse se déroule toujours dans un contexte influencé par la culture, les croyances religieuses, l’histoire personnelle et les associations du passé, ainsi que par les réalités actuelles. Nous devons donc être attentifs à ces éléments et nous renseigner sur les obstacles culturels qui se dressent sur notre chemin, afin que nos amis puissent adopter comme leur la foi chrétienne. Cela suppose que nous cherchions à articuler l’Évangile en des termes qui sont pertinents et significatifs pour eux sur le plan existentiel.
Lorsque nous présentons la vérité de l’Évangile à des personnes d’une autre culture, nous affirmons par essence que dans ce qu’elles ont cru et connu de la vie et de la réalité, tout n’est pas vrai. Nous leur offrons la vie en Christ, mais cela implique qu’elles doivent abandonner certaines de leurs valeurs et croyances pour se conformer à cette vérité nouvellement présentée. Il s’agit d’une prise de décision importante et complexe, qui ne concerne pas seulement leur sort final, mais qui aura un impact considérable sur leur identité sociale et culturelle, et sur toute leur vie, même longtemps après qu’elles aient prononcé la prière du pécheur.
Notes
- I’Ching Thomas, Jesus : The Path to Human Flourishing (Singapour : Graceworks, 2018), 51.
- Daniel J. McCoy, ed., The Popular Handbook of World Religions (Eugene, OR : Harvest House, 2021), 50.
- Wayne Grudem, Systematic Theology (Grand Rapids, MI : Zondervan, 2000), 815.
- Grudem, Systematic Theology, 822-823.
- Norman L. Geisler, Baker Encyclopedia of Christian Apologetics (Grand Rapids, MI : Baker, 1999), 313.
- Note de l’éditeur : Voir l’article de D.J. Oden, intitulé « Clés pour une implantation contextualisée d’Églises en Thaïlande » dans le numéro de novembre 2020 de l’Analyse mondiale du Mouvement de Lausanne, https://lausanne.org/fr/lga-05-fr/cles-pour-une-implantation-contextualisee-deglises-en-thailande.