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Repousser les ténèbres : Faire progresser le Royaume de Dieu dans notre travail

Un impact du royaume dans chaque sphère de notre société 101

Vinoth Ramachandra 24 Juil 2024

Jésus a commencé son ministère public en Galilée par ces mots : « Le temps est accompli et le règne de Dieu s’est approché. Changez radicalement et croyez à la bonne nouvelle. » (Marc 1.15). L’expression « règne de Dieu » est celle qui revient le plus souvent sur les lèvres de Jésus. Dans les évangiles synoptiques de Matthieu, Marc et Luc, elle apparaît 104 fois. Si l’on considère des expressions comparables, par exemple, le mot « foi », ou le verbe « croire », n’apparaît que 70 fois sur les lèvres de Jésus, le mot « amour » 36 fois et « Esprit Saint » 35 fois. Ainsi, tous les évangélistes s’accordent à dire que le thème du royaume ou du règne de Dieu est ce qui constitue le cœur de la prédication de Jésus.

Ce concept n’est pas inventé par Jésus, il imprègne les écrits de l’Ancien Testament. Jésus endosse l’ancienne attente de son peuple, à savoir que Dieu établira un jour son règne libérateur sur la terre. Si nous négligeons l’héritage juif de Jésus et le cadre culturel dans lequel il vit, nous nous trompons dans l’interprétation de son message.

Au cœur du ministère de Jésus se trouve un vigoureux défi lancé aux puissances du mal, qu’il s’agisse de la maladie qui afflige le corps, des démons qui tourmentent l’esprit, de la culpabilité et de l’indignité qui écrasent la personne, ou de l’idolâtrie et de l’hypocrisie qui détruisent la communauté humaine. Pourtant, c’est dans la plus grande vulnérabilité qu’il soutient ce combat qui le conduit à l’agonie de Gethsémani et au cri déchirant « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » à Golgotha.

Ceux qui suivent Jésus sont appelés à s’identifier à ceux qui se trouvent « au bas de l’échelle » de nos systèmes sociaux et politiques, à embrasser une souffrance qui n’est peut-être pas directement la leur.

En embrassant volontairement la honte et l’humiliation de la croix, Jésus exprime la solidarité aimante de Dieu avec tous ceux qui souffrent de brutalités de la part d’autres personnes. Certes, il meurt en solidarité avec tous les pécheurs, les bourreaux et les badauds autant que les victimes. Nous ne devons cependant pas oublier qu’il meurt victime d’un système politique et sur une accusation politique. Sa solidarité aimante avec tous a fait de lui une victime aux côtés de ceux qui souffrent aux mains des autres. C’est en tant que victime qu’il pardonne à ceux qui soutiennent le système. Pourtant ces derniers ne peuvent recevoir ce pardon que s’ils sont prêts à se détourner (« changer radicalement ») de leur complicité dans des structures qui nient Dieu.

Ceux qui suivent Jésus sont appelés à s’identifier à ceux qui se trouvent « au bas de l’échelle » de nos systèmes sociaux et politiques, à embrasser une souffrance qui n’est peut-être pas directement la leur. Cela impliquera qu’ils aient à apprendre à voir le monde du point de vue de ces « bas de l’échelle » rejetant ainsi les perspectives confortables de ceux qui profitent de l’ordre mondial actuel.

Le manifeste du Royaume

Le Sermon sur la montagne (Matthieu 5-7) est le manifeste du royaume de Jésus. Il décrit ce à quoi ressemble la citoyenneté dans le royaume de Dieu, autrement dit le nouvel ordre mondial qui a vu le jour. Il commence par une description en huit points (5.3-12) du caractère de ceux qui appartiennent à son royaume et pour qui sa venue est vraiment une « bonne nouvelle ».

Premièrement, ces personnes sont « pauvres en esprit » (v. 3) – elles ne contrôlent pas les choses, pas même leur propre vie, mais elles sont brisées et dépendent entièrement de Dieu ; deuxièmement, elles « pleurent » (v. 4) – sur leurs propres péchés et sur les souffrances et les péchés des personnes parmi lesquelles elles vivent ; troisièmement, elles sont « douces » (v. 5) – pas des lâches qui s’écrasent, mais des personnes dont les ambitions ne sont pas centrées sur elles-mêmes, qui ne se mettent pas en avant, mais renoncent aux positions d’honneur et de privilège ; quatrièmement, elles « ont faim et soif de justice » (v.6) – les disciples sont connus comme des personnes qui ont une passion pour la justice de Dieu, qui aspirent à ce que Dieu donne raison aux opprimés ; cinquièmement, à la faim de justice, qui peut, il est vrai, rendre les gens durs et même moralisateurs, elles associent la capacité d’être « compatissantes » (v.7) envers les victimes, mais aussi envers les auteurs d’injustices ; sixièmement, elles ont « le cœur pur » (v. 8) – ce qui indique une motivation et une loyauté de cœur sans partage ; septièmement, elles imitent Dieu en étant des « artisans de paix » (v. 9) – elles prennent l’initiative d’entrer dans des situations de conflit et de violence, que ce soit dans des familles, des villes ou des nations, pour construire des ponts et restaurer les relations entre des peuples en conflit ; et, enfin, les disciples sont « persécutés » – à la fois pour leur justice et parce qu’ils témoignent fidèlement de Jésus (v. 10-11).

Jésus poursuit et annonce l’impact que de tels disciples auront sur leur société. Il utilise deux métaphores, l’une négative, l’autre positive. Négativement, ils seront comme le sel (v. 13) qui, frotté sur la viande ou le poisson, arrête la décomposition bactérienne. De même, les disciples, lorsqu’ils s’intègrent dans leur société et vivent leur spécificité, arrêteront la décadence morale et spirituelle de cette société. De manière positive, ils seront comme la lumière (v. 14), exposant et dissipant les zones d’ombre des entreprises, du gouvernement et d’autres institutions de leur nation. Notez que ce n’est pas par leur prédication, mais par leurs « belles œuvres » – ces œuvres de justice, de compassion et de pacification – que les disciples attirent les sceptiques et les amènent à changer de point de vue pour qu’ils « glorifient » Dieu (v. 16).

Ainsi, l’Église est appelée à vivre comme un signe, un avant-goût et un instrument du règne de Dieu, qui est une réalité à la fois présente et future. Le royaume de Dieu n’est pas une réalité construite par nous, et il n’est pas davantage provoqué par nous, nous en sommes simplement les témoins.

Témoigner à la manière de Jésus

La manière de Jésus est donc la manière qu’il appelle son Église à employer. Elle n’est ni un retrait du monde dans un sanctuaire religieux, ni un engagement dans le monde selon les termes de ce dernier. Il s’agit de rien de moins qu’un défi déterminé et inébranlable, mais vulnérable, lancé aux puissances qui contrôlent l’ordre mondial actuel, mais au nom du règne de Dieu présent en Jésus crucifié et ressuscité. Dans la mesure où l’Église participe à la manière contre-culturelle de Jésus, comprenant aussi la souffrance de Jésus, elle devient porteuse de la vie de résurrection de Jésus pour le bien du monde.

La manière de Jésus est . . . rien de moins qu’un défi déterminé et inébranlable, mais vulnérable, lancé aux puissances qui contrôlent l’ordre mondial actuel, mais au nom du règne de Dieu présent en Jésus crucifié et ressuscité.

Cette façon de penser est très éloignée des mesures de « progrès » missionnaire et des recettes de croissance de l’Église qui abondent aujourd’hui dans les cercles évangéliques occidentaux. La mission chrétienne n’est pas une « success story » en cours, au sens où le monde l’entend.

La principale façon dont l’Église influence le monde n’est pas à travers ses programmes sociaux ou d’évangélisation, ni en multipliant les professionnels de la religion, ni en créant davantage d’agences missionnaires, mais à travers le caractère et le travail quotidien des chrétiens, hommes et femmes, dans les bureaux, les écoles, les usines, les conseils de village, les laboratoires de recherche, les salles de conseil d’administration des entreprises, etc. Voilà les champs contemporains de la mission chrétienne.

La principale façon dont l’Église influence le monde n’est pas à travers ses programmes sociaux ou d’évangélisation, ni en multipliant les professionnels de la religion, ni en créant davantage d’agences missionnaires, mais à travers le caractère et le travail quotidien des chrétiens, hommes et femmes, dans les bureaux, les écoles, les usines, les conseils de village, les laboratoires de recherche, les salles de conseil d’administration des entreprises, etc. Voilà les champs contemporains de la mission chrétienne.

Je me souviens d’une réunion avec une poignée de chrétiens engagés en politique qui représentaient différents partis d’opposition dans un pays asiatique à majorité musulmane. Ils étaient issus de diverses traditions ecclésiastiques, notamment catholiques et pentecôtistes. Je leur ai demandé : « Quelle est la plus grande source de frustration que vous rencontrez dans votre travail ? » Je m’attendais à ce qu’ils disent quelque chose comme « Les compromis que nous devons faire en tant que membres du parti », mais au lieu de cela, ils ont été unanimes dans leur réponse : « Notre Église. » Ils n’avaient reçu aucun soutien de la part de leur Église, que ce soit sous forme de prières régulières, d’aide financière ou de volontaires pour les aider à mettre en œuvre les politiques sociales ou simplement à gérer leurs bureaux. Une députée m’a dit que son Église levait des fonds considérables pour envoyer des missionnaires interculturels et des jeunes en « voyages missionnaires » de courte durée dans d’autres parties de l’Asie. Par contre, le travail des élus n’était pas considéré comme une « mission ». La seule fois où les dirigeants de l’Église avaient manifesté un intérêt pour ce qu’ils faisaient, c’était lorsque les chrétiens étaient eux-mêmes victimes de harcèlement politique et qu’ils voulaient que les élus parlent en leur nom au parlement. Cette histoire se répète dans le monde entier.

J’ai travaillé principalement avec des chrétiens exerçant des professions séculières, les aidant à vivre l’Évangile et à communiquer la vérité et la justice de Dieu dans les domaines de la science, des affaires, des arts, de la médecine, de l’éducation, etc. Ces hommes et ces femmes qui s’engagent « chrétiennement » sur la place publique sont le fer de lance de la mission. Ils sont confrontés à d’énormes difficultés éthiques posées, par exemple, par les nouvelles technologies médicales ou les nouveaux médias de réseautage social, les cultures agricoles génétiquement modifiées, les opérations boursières à terme et les fonds spéculatifs, la législation antiterroriste, le changement climatique et la perte de biodiversité. Tous ces sujets exigent un engagement missionnaire profond et une réflexion missiologique.

Prenons l’exemple de Rocio Parra, une avocate chilienne qui, inspirée par sa conviction chrétienne de prendre soin de l’environnement, tente d’intégrer les mers et les océans dans le concept traditionnel de « territoire » et de garantir ainsi la protection de l’environnement dans la nouvelle constitution de son pays.

La République démocratique du Congo est déchirée par la guerre depuis plus de vingt ans, impliquant des seigneurs de guerre locaux rivaux et des sociétés multinationales exploitant les riches réserves minérales du pays. Les viols de masse sont une arme dans cette guerre. Denis Mukwege est un gynécologue chrétien qui a mis au point un système de soins par étapes pour les femmes victime de viol, combinant chirurgie et examen psychologique, les aidant à acquérir des compétences professionnelles et les assistant sur le plan juridique afin qu’elles puissent poursuivre leurs agresseurs en justice. Il a reçu le prix Nobel de la paix en 2013.1

Beaucoup d’entre nous ne serons pas reconnu(e)s dans cette vie pour le travail qu’ils ou elles accomplissent pour le Royaume. Même l’impact à long terme de notre travail pourrait n’être révélé qu’au jour du jugement dernier. Nous connaîtrons souvent l’opposition, le découragement ou un profond sentiment d’échec. Nous sommes cependant appelé(e)s non pas à la réussite, mais à la fidélité.

Notes

  1. https://www.bbc.com/news/magazine-21499068

Biographies des auteurs

Vinoth Ramachandra

Vinoth Ramachandra vit au Sri Lanka. Il a travaillé, dans diverses fonctions de direction pendant plus de quarante ans, avec l’International Fellowship of Evangelical Students (GBU) – un réseau mondial de plus de 165 œuvres chrétiennes universitaires nationales autonomes.

Il est l’auteur de plusieurs essais, articles et livres qui mettent en relation la théologie chrétienne et les divers enjeux sociaux, politiques et idéologiques auxquels les chrétiens sont confrontés dans différents contextes nationaux. Il a également collaboré avec le Faraday Institute of Science & Religion (Royaume-Uni), l’Oxford Centre for Mission Studies, le réseau de protection de l’environnement A Rocha et Michée Mondial. Lecteur vorace, il a un appétit malsain pour les romans policiers, regarde trop de films, aime le cricket, le rugby et l’observation des oiseaux, et blogue occasionnellement à l’adresse suivante : https://vinothramachandra.wordpress.com

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