Global Analysis

Persécution des chrétiens au Nigéria

une réponse biblique à un gouvernement insensible

Babatomiwa M. Owojaiye Mai 2022

La persécution des chrétiens peut se définir comme ce que vivent des personnes du simple fait qu’elles sont identifiées comme chrétiennes et qui s’exprime par toutes sortes d’hostilités de la part de ceux qui les entourent. Depuis le harcèlement verbal jusqu’à des sentiments, des attitudes ou des actes hostiles, les chrétiens paient un lourd tribut pour leur foi, dans les régions soumises à de sévères restrictions religieuses. Coups, torture physique, enfermement, isolement, viol, punitions sévères, emprisonnement, esclavage, discrimination dans l’éducation et l’emploi, et même la mort, ne sont que quelques-unes des formes de persécution qu’ils subissent quotidiennement. Selon Portes Ouvertes, une organisation internationale au service des chrétiens persécutés dans le monde, l’année dernière, il y a eu :

Plus de 360 millions de chrétiens vivant dans des lieux où ils subissent des niveaux élevés de persécution et de discrimination

5 898 chrétiens tués pour leur foi

5 110 églises et autres bâtiments chrétiens attaqués

6 175 croyants détenus sans procès, arrêtés, condamnés ou emprisonnés

3 829 chrétiens enlevés.[1]


Le Nigéria, vu sous une perspective mondiale

Portes Ouvertes décrit le Nigéria comme l’un des pays du monde contemporain où il est le plus difficile d’être chrétien. En 2015, Portes Ouvertes y a enregistré 4 028 meurtres et 198 attaques d’églises. L’année précédente, ces chiffres étaient de 2 484 meurtres et 108 attaques d’églises. Les chrétiens du nord du Nigéria, dont le nombre est estimé à 30 millions, constituent la plus grande minorité dans un environnement majoritairement musulman et risquent d’être violemment persécutés. Comme l’indique le rapport : « Pendant des décennies, les chrétiens de la région ont souffert de marginalisation et de discrimination, ainsi que de violences ciblées. »[2] Lors de la messe d’enterrement du séminariste Michael Nnamdi au séminaire Good Shepherd de Kaduna, l’évêque catholique Matthew Hassan Kukah a, dans son homélie, décrit le nord du Nigéria comme « un grand cimetière, une vallée d’ossements secs, la partie la plus malsaine et la plus brutale du Nigéria ».

2,484

meurtres en 2014

108

attaques d’églises en 2014


4,028

meurtres en 2015

198

attaques d’églises en 2015

En 1966, les Nations Unies ont élaboré le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) qui vient compléter la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’article 18 du PIDCP se concentre sur quatre éléments ayant trait à la liberté de religion. Le Nigéria n’est pas seulement signataire du traité, mais l’esprit de cet accord est également inscrit dans la constitution de la nation. Cependant les réalités sur le terrain montrent le contraire. Selon THISDAYLive du 4 février 2017 : « La Chambre des représentants des États-Unis a qualifié le Nigéria d’endroit du monde le plus dangereux pour les chrétiens et a déclaré que l’impunité des responsables des meurtres de chrétiens dans le pays “ semble généralisée ˮ. » [3] L’Index mondial de persécution des chrétiens 2022 de Portes Ouvertes classe le Nigéria au 7e rang des 50 nations où les chrétiens sont confrontés à des persécutions très fortes ou extrêmes. Selon cette étude, il y a plus de persécutions de chrétiens au Nigéria qu’en Arabie Saoudite, siège spirituel de l’islam. Il est alarmant de constater que le Nigéria occupe le quatrième rang dans la liste des pays africains où les chrétiens sont persécutés, derrière des États islamiques et totalitaires comme la Somalie, la Libye et l’Érythrée. [4]

La persécution des chrétiens au Nigéria et le rôle du gouvernement

Ces dernières années, l’insécurité croissante au Nigéria a atteint un niveau alarmant. Les meurtres extrajudiciaires de citoyens innocents et la destruction gratuite de propriétés sont devenus des incidents quotidiens. Le gouvernement nigérian prétend toujours maîtriser la situation mais la réalité sur le terrain dit le contraire. Outre les violences commises contre des vies humaines par les groupes terroristes Boko Haram et État islamique de la province d’Afrique de l’Ouest (ISWAP), le banditisme, les rapts, les vols à main armée, le fanatisme sectaire, les affrontements communautaires, les vols de bétail, les affrontements entre éleveurs et agriculteurs, ainsi que les enlèvements sont devenus ordinaires au Nigéria. Malheureusement, le gouvernement du président Muhammadu Buhari semble incapable de régler cette crise.


Jusqu’à présent, les dirigeants de l’Association chrétienne du Nigéria (CAN) ont dénoncé la tactique des insurgés consistant à cibler les chrétiens et leurs centres de culte. La protestation a toutefois atteint son comble après l’exécution publique du révérend Lawan Andimi et d’un étudiant de l’université de Maiduguri, Daciya Dalep. Jusqu’à son horrible martyre le 21 janvier 2020, le révérend Lawan Andimi était, pour la CAN, le président de la région de Michika dans l’État d’Adamawa. Il a été enlevé et détenu pendant près d’une semaine, avec une demande de rançon de N 800 000 000 (l’équivalent de 2 millions d’euros). Le groupe d’insurgés Boko Haram a cruellement décapité l’ecclésiastique de 58 ans, même après que la direction du CAN eut proposé de payer une rançon de N50 000 000 (environ 128 000 €). Pour aggraver les choses, la vidéo horrifiante de son exécution a été rendue publique par ses bourreaux. Depuis que j’ai vu cette vidéo, je ne peux m’empêcher de penser au traumatisme subi par sa famille et ses proches.

Ces dernières années, l’insécurité croissante au Nigéria a atteint un niveau alarmant. Les meurtres extrajudiciaires de citoyens innocents et la destruction gratuite de propriétés sont devenus des incidents quotidiens.

Cette vidéo macabre a suscité une protestation générale contre la persécution des chrétiens au Nigéria. La direction de la CAN a déclaré trois jours de jeûne et de prière contre la vague croissante d’attaques contre les chrétiens. Le dernier jour, des chrétiens et des responsables d’Église dans tout le pays ont organisé une manifestation pacifique destinée à mettre le gouvernement au défi de prendre ses responsabilités. Outre la CAN, de nombreuses organisations locales, nationales et internationales, telles que Muslim Rights Concern, et des personnalités éminentes, telles que le pasteur E.A. Adeboye et le sultan de Sokoto ont condamné le meurtre horrible du révérend Lawan Andimi et l’aggravation de l’insécurité au Nigéria.

Le Northern Elders Forum, un groupe socio-politique composé de personnalités éminentes originaires du nord du Nigéria, a également condamné le meurtre de chrétiens. Ces prises de positions sont d’autant plus intéressantes que la majorité de ces personnes sont musulmanes. Le président du Northern Elders Forum, le professeur Ango Abdullahi, a déclaré : « Le gouvernement actuel dirigé par le président Muhammadu Buhari n’a pas réussi à protéger les citoyens des attaques incessantes des bandits et des groupes terroristes. »[5] Le groupe a condamné la tactique des insurgés consistant à cibler les chrétiens et à rendre publique leur exécution. Tous ont toutefois appelé les chefs religieux à ne pas succomber face aux efforts des insurgés qui incitent les groupes religieux à s’affronter.

Malheureusement, les appels lancés à l’administration Buhari pour qu’elle prenne des mesures plus énergiques à ce sujet semblent être tombés dans l’oreille d’un sourd. Par exemple, le conseiller spécial du président Buhari pour les médias et la publicité, M. Femi Adesina, a réfuté la déclaration attribuée au Northern Elders Forum concernant les meurtres ciblés de chrétiens au Nigéria, affirmant que leur position était motivée par la « haine du président Muhammadu Buhari ».[6] M. Femi Adesina avait été mis en cause pour avoir défendu aveuglément les actions du président Muhammadu Buhari et de son administration. L’une de ces interpellations a été lancée par Aisha Yesufu, musulmane pratiquante et co-organisatrice d’un groupe de défense connu sous le nom de Bring Back Our Girls (BBOG – Ramenez nos filles), qui a publié une vidéo[7] mettant en doute l’affirmation de M. Femi Adesina selon laquelle les meurtres ont diminué sous l’administration Buhari par rapport à l’administration précédente du président Goodluck Jonathan.[8] Voilà le genre de commentaires défensifs que les Nigérians entendent lorsqu’ils disent la vérité au pouvoir, surtout lorsqu’elle porte sur des questions aussi sensibles que la sécurité publique de tous les citoyens, chrétiens ou non.

Quelles que soient les conséquences de ces cas spécifiques, en considérant l’escalade des enlèvements et des meurtres, on ne peut s’empêcher de percevoir un effort systémique pour subjuguer la présence publique du christianisme au Nigéria.

Le meurtre gratuit de chrétiens par des groupes d’insurgés se poursuit sans relâche. Après la protestation autour des cas Andimi et Dalep, quatre séminaristes du Grand Séminaire du Bon Pasteur à Kakau, dans l’État de Kaduna, ont été enlevés par des hommes armés. Trois d’entre eux ont été libérés après quelques jours, tandis que le corps du quatrième, Michael Nnadi, a été retrouvé mort le 1er février 2020. Le même jour, le corps de Mme Bola Ataga a été retrouvé à Sabon Tasha après qu’elle et ses deux filles (âgées de 8 et 3 ans) avaient été enlevées le 24 janvier 2020 et avaient passé sept jours en captivité. Les ravisseurs avaient exigé une rançon de N 120 000 000 de la famille. Les enfants ont été libérés plus tard, mais on ignore si une rançon a été versée. Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux cas d’assassinats ciblés visant les chrétiens ces dernières années.[9] Quelles que soient les conséquences de ces cas spécifiques, en considérant l’escalade des enlèvements et des meurtres, on ne peut s’empêcher de percevoir un effort systémique pour subjuguer la présence publique du christianisme au Nigéria.

Que dit la Bible sur la persécution des chrétiens ?

Déjà préfigurée dans l’Ancien Testament à travers l’histoire de Shadrak, Méshak, Abed-Nego et Daniel, la persécution des chrétiens n’est pas un fait nouveau dans l’histoire de l’Église. Pierre et Jean devant le Sanhédrin, Étienne, Paul et Silas dans d’autres récits du livre des Actes, ne sont que les premiers d’une longue liste de croyants qui ont souffert à cause de leur foi en Dieu. Les chrétiens ont été avertis que des situations se présenteraient où ils devaient être prêts à souffrir pour l’Évangile. La Bible avertit cependant que la souffrance doit résulter d’une prise de position en faveur de la justice. Dans Jean 15.20, Jésus prévient ses disciples que les mêmes qui l’ont persécuté parce qu’ils cherchent le pouvoir persécuteront certainement ses disciples. Dans Jean 16, Jésus poursuit en encourageant ses disciples à rester fidèles à leur foi. Il appelle à la compassion envers les persécuteurs, car ils semblent aveugles à la vérité, et en dernier ressort, les disciples sont invités à ne pas avoir peur de ceux qui peuvent tuer le corps mais pas l’âme. La récompense finale se trouve en fait au paradis.

D’autre part, en tant que citoyens d’une nation où nous avons été placés par Dieu, nous avons recours au cours normal de la justice, surtout parce que si nous ne le faisons pas, ce sont les plus vulnérables qui continueront à souffrir de violentes persécutions.

Paul, en Romains 12.20-21, va jusqu’à mettre radicalement au défi les chrétiens de Rome d’agir avec bienveillance envers leurs persécuteurs : « Mais si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire ; car en agissant ainsi, ce sont des braises que tu amasseras sur sa tête. » Cela dit, nous constatons que lorsque Paul est attaqué cela ne l’empêche pas d’avoir recours à la loi du pays pour se défendre, défense qui doit servir la cause de la diffusion de l’Évangile. Il fait appel à la plus haute autorité du pays, à César, et en attendant de le rencontrer, il répand l’Évangile à la cour impériale et en prison. Il crée aussi un espace pour que la cause chrétienne soit entendue plus loin et plus largement, à la fois à l’époque et dans l’histoire.

Cette perspective est très importante pour les chrétiens. D’une part, nous ne devons pas chercher à nous venger, car la vengeance appartient à Dieu. D’autre part, en tant que citoyens d’une nation où nous avons été placés par Dieu, nous avons recours au cours normal de la justice, surtout parce que si nous ne le faisons pas, ce sont les plus vulnérables qui continueront à souffrir de violentes persécutions.

Conclusion

Gideon Para-Mallam a écrit sur un sujet similaire, proposant des recommandations perspicaces.[10] Vous trouverez ci-dessous d’autres recommandations de ma part :

  • Que les personnes visées soient des chrétiens ou des non-chrétiens, c’est tout le tissu social qui est déchiré par ce mal destructeur que sont les enlèvements, les meurtres et les fortes demandes de rançon. Les chefs religieux, les chefs chrétiens, les chefs traditionnels et la communauté chrétienne dans son ensemble sont des personnes éprises de paix et devraient s’unir pour dénoncer le mal qui sévit au Nigéria. Nous devons utiliser tout ce qui est en notre pouvoir pour dénoncer la persécution des chrétiens au Nigéria. L’Église doit continuer à ne pas laisser le gouvernement s’endormir tant que notre pays ne sera pas débarrassé de l’exécution cruelle de membres innocents de notre nation ;

    Les chrétiens doivent militer activement sur le plan socio-politique à tous les niveaux, sinon, ils feront involontairement les frais d’une exclusion ciblée des couloirs du pouvoir. Ceux qui sont déjà en position d’autorité ne devraient pas avoir honte de dénoncer les injustices dont sont victimes les groupes minoritaires religieux et ethniques ;

  • Les dirigeants de l’Association chrétienne du Nigéria (CAN) devraient favoriser l’unité entre les chrétiens du pays et éviter de perdre leur temps dans des conflits de leadership qui réduisent le poids de l’Église dans des affaires autrement plus sérieuses ;

  • Enfin, il est urgent que davantage d’organisations confessionnelles internationales ajoutent leur voix à cette cause et engagent la communauté internationale à réagir activement aux persécutions incessantes des chrétiens au Nigéria.[11]

Notes

  1. ‘World Watch List 2022,’ Open Doors, accessed February 15, 2022, https://www.opendoorsusa.org/christian-persecution/world-watch-list/.
  2. Jannella P, ‘Killing of Christians in Nigeria has increased by 62%,’ Open Doors, March 1, 2016, https://www.opendoorsusa.org/christian-persecution/stories/killing-of-christians-in-nigeria-has-increased-by-62/.
  3. Yemi Adebowale, ‘Nigeria “Cited Most Dangerous Place for Christians in the World”, Says US Congress’ in THISDAYLive, February 4, 2017, https://www.thisdaylive.com/index.php/2017/02/04/nigeria-cited-most-dangerous-place-for-christians-in-the-world-says-us-congress/.
  4. Index Mondial de Persécution des Chrétiens 2022, Portes Ouvertes, https://www.portesouvertes.fr/persecution-des-chretiens/profils-pays/nigeria-nord.
  5. ‘Buhari Has Failed in the Vital Area of Improving Security – Northern Elders Forum,’ Channels Television, February 9, 2020, https://www.channelstv.com/2020/02/09/buhari-has-failed-in-the-vital-area-of-improving-security-northern-elders-forum/.
  6. Johnson Agbakwuru, ‘Northern Elders Forum Lacks Credible Membership,’ Vanguard, February 10, 2020, https://www.vanguardngr.com/2020/02/northern-elders-forum-lacks-credible-membership-%E2%81%A0-presidency/.
  7. Aisha Yusufu, ‘In 2015 Nigeria Was Not the Poverty Capital of the World,’ January 27, 2020, https://twitter.com/Turakies/status/1221806266894508032.
  8. Wale Odunsi, ‘Boko Haram: Femi Adesina Blasts CAN for Attacking Buhari Over Lawan Andimi’s Execution,’ Daily Post, January 24, 2020, https://dailypost.ng/2020/01/24/boko-haram-femi-adesina-blasts-can-for-attacking-buhari-over-lawan-indimis-execution/.
  9. ‘Nigeria,’ Open Doors, accessed February 11, 2020, https://www.opendoorsusa.org/christian-persecution/world-watch-list/nigeria/ .
  10. Gideon Para-Mallam, ‘An Existential Threat to Christianity in Nigeria?’ Lausanne Global Analysis, July 2019, https://www.lausanne.org/lga-01/existential-threat-christianity-nigeria/.
  11. Note de l’éditeur: See article by Yousaf Sadiq entitled, ‘How Should We Respond to the Persecution of Christians,’ in January 2019 issue of the Lausanne Global Analysis, https://lausanne.org/content/lga/2019-01/how-should-we-respond-to-the-persecution-of-christians.

Photo credits

Milice d’autodéfense Nigeria 2015‘ by VOA Public Domain

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Biographies des auteurs

Babatomiwa M. Owojaiye

Babatomiwa M. Owojaiye est le pasteur principal de la First ECWA (Evangelical Church Winning All – Église évangélique) à Ilorin, au Nigéria. Il est également chargé d’enseignement et de recherche au Centre pour la recherche et l’innovation du Centre de formation théologique de l’ECWA à Igbaja, au Nigéria. Il est le Directeur général du Centre pour le christianisme biblique en Afrique, initiative créée pour contribuer à l’approfondissement des racines du christianisme biblique en Afrique et à l’élargissement de l’impact transformateur du message chrétien dans la sphère publique. M. Babatomiwa est titulaire d’un doctorat en christianisme mondial de l’Université internationale d’Afrique en partenariat avec l’Université d’Édimbourg.

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