Global Analysis

Échos de la table ronde sur les Roms et les non-Roms

Des partenariats solides pour la mission

Melody J. Wachsmuth Mai 2020

La troisième conférence européenne sur les Roms, qui s’est tenue en octobre à Sarajevo, en Bosnie, a attiré 226 participants de 31 pays. Elle a rassemblé des personnes très diverses : Roms et non-Roms, universitaires et personnes peu instruites, pasteurs, missionnaires, musiciens, dirigeants et paroissiens.

Élément significatif, le thème était : « Partenariats solides ». Un contenu pratique, entrecoupé d’études de cas réels provenant de Bosnie, de Finlande, de Serbie, de Roumanie et d’Inde, a illustré la valeur multiplicative de partenariats solides et le danger de partenariats inégaux avec des attentes divergentes. Des groupes, organisés par pays et régions, ont discuté de leurs expériences, bonnes et mauvaises.

Pourquoi ce thème à cette époque et en ce lieu ? Développer des partenariats de mission solides de part et d’autre est quelque chose de difficile – c’est un fait dont témoignent à la fois l’histoire des missions et mes propres observations en Europe du Sud-Est. Malgré cela, le partenariat avec des Églises et des communautés roms est essentiel pour partager nos divers dons tout en manifestant la « nouvelle humanité » dans le Christ.[1]

Aujourd’hui, le terme « Rom » est souvent utilisé pour désigner un groupe plus large de personnes qui diraient d’elles-mêmes qu’elles sont Roms, Tziganes, Sintés ou Manouches, Kalés ou Gitans, etc

Qui sont les Roms ?

La plupart des chercheurs établissent un lien entre ceux qui s’identifient aujourd’hui comme Roms et des groupes de personnes qui ont quitté le nord-ouest de l’Inde il y a plus de mille ans. Le terme de « Rom » a été adopté par l’Union romani internationale (IRU) lors du premier Congrès international des Roms (Londres, 1971), d’autres appellations comme « Tsiganes », « Gitans » et « Romanichels » ayant une connotation péjorative dans certains contextes. Aujourd’hui, le terme « Rom » est souvent utilisé pour désigner un groupe plus large de personnes qui diraient d’elles-mêmes qu’elles sont Roms, Tziganes, Sintés ou Manouches, Kalés ou Gitans, etc.[2] La question de l’appellation est complexe car l’image qu’un groupe a de lui-même est parfois en contradiction avec la terminologie des personnes étrangères au groupe ; en général, avant d’utiliser une appellation quelconque, j’attends d’entendre comment une communauté se présente elle-même.

On dresse trop souvent le portrait des Roms d’une façon statique et unidimensionnelle — souvent en lien avec la pauvreté ou la criminalité, par exemple — qu’ils soient originaires du Brésil, de France ou de Roumanie. Il est crucial de comprendre que les Roms ne sont pas une population homogène, mais se répartissent en différents groupes minoritaires dispersés dans de nombreux pays et sur plusieurs continents. Ils peuvent parler des langues différentes ou des dialectes romani différents et peuvent avoir des pratiques culturelles et religieuses diverses. Ils ont également des histoires différentes en lien avec les sociétés dans lesquelles ils sont ancrés. En Europe, par exemple, les siècles passés, marqués par des politiques sévères visant à assimiler, bannir ou même exterminer les Roms (notamment pendant la Seconde Guerre mondiale), continuent de favoriser, aujourd’hui encore, une image négative des Roms.


Pentecôtistes roms au sud de la Serbie (Photo : Jason Autry pour The Good Story, Co)

Cependant, malgré ces différences, certains chrétiens roms ressentent un sentiment d’identité et une vision missionnaire transnationale, s’étendant de l’Europe à l’Amérique du Nord et du Sud et même à l’Inde.[3] Par exemple, certains universitaires et militants relient les Roms européens aux Banjara, une grande tribu de clans que l’on trouve dans le nord-ouest, le centre et le sud de l’Inde.[4] Srinivas Naik est un pasteur banjara. Il a fondé Global Banjara Baptist Ministries (GBBM), qui exerce son ministère parmi les Banjara dans quatre États indiens différents par l’implantation d’Églises, la formation au leadership et le travail social. À Sarajevo, il a exprimé le profond désir de se rapprocher des personnes de son propre groupe ethnique pour vivre et célébrer sa foi avec eux. Il a décrit un « sentiment d’appartenance » — non seulement celle que lui et ses compatriotes Roms partagent en Christ, mais aussi celle qui les lie les uns aux autres en termes d’ethnicité et d’histoire.

Le christianisme continue de se développer parmi les Roms, principalement sous des formes pentecôtistes

Réalités parallèles

Dans le monde entier, le christianisme continue de se développer parmi les Roms, principalement sous des formes pentecôtistes, allant de grands réveils à partir des années 1950 en France, à un développement rapide en Europe centrale et orientale après la chute du communisme, et à la croissance d’Églises au Brésil.[5] Des études universitaires, menées dans divers contextes, ont démontré que le christianisme contribue à l’élévation des niveaux d’éducation et d’alphabétisation, ainsi qu’à la diminution de la criminalité et de la distance sociale par rapport à la culture majoritaire.[6]

Cependant, en Europe, des réalités parallèles sont présentes au sein de la population rom qui est estimée entre 10 et 12 millions :

  • Bien que des Roms soient intégrés dans toutes les sphères de la société, beaucoup sont confrontés à une situation socio-économique difficile, en particulier en Europe de l’Est.
  • En Europe, les groupes de Roms connaissent souvent des taux de chômage, d’analphabétisme et de problèmes de santé plus élevés, ils vivent aussi plus souvent dans des logements insalubres et ont un niveau d’éducation plus faible.
  • Ils sont confrontés à l’exclusion sociale, à la discrimination et au racisme. Les préjugés ne sont pas toujours unilatéraux : certains groupes de Roms méprisent les non-Roms (gadjé) ou même les autres Roms.
  • La vulnérabilité des Roms dans certains contextes en a fait une cible privilégiée pour la traite des êtres humains.

Les problèmes de discrimination et de marginalisation sociale ne sont pas l’apanage seulement de l’Europe. Bien que les Roms du Brésil (composés de Calons et de Roms) aient fait l’objet d’un intérêt politique croissant au cours des 20 dernières années,[7] ils continuent à être victimes de préjugés. En Inde, les Banjara sont souvent isolés socialement, manquent d’éducation et sont économiquement défavorisés. Bien que les Banjara vivant dans l’État où vit Naik soient classés comme groupe tribal, ce qui leur permet d’être mieux respectés socialement, ils sont, dans d’autres États, fréquemment classés comme Dalits (intouchables).

La nécessité de partenariats solides

Dans ce contexte, je pense qu’il y a trois raisons principales pour que les Roms et les non-Roms développent des partenariats solides :

1. Un moment opportun ou Kairos?

Nous vivons peut-être bien un « kairos » en termes d’opportunité globale d’évangélisation et de formation des groupes de Roms. En Europe de l’Est, de nombreux pasteurs roms ont déclaré que c’était l’heure des Roms, en référence à l’ouverture spirituelle de ces derniers. En Inde, Naik relate l’énorme croissance des 20 dernières années, après que des Banjara convertis aient commencé à évangéliser leur peuple. Il s’est fait l’écho de ce sentiment, en disant que le temps est venu pour les Banjara ; Dieu répand son Esprit parmi eux. Il a demandé que d’autres partenaires du monde entier se joignent à eux pour profiter de cette occasion.

2. Des défis de taille

Ce kairos survient souvent dans des contextes difficiles mais qui peuvent aussi représenter des opportunités, alors que les ressources disponibles, tant en personnes qu’en moyens, sont insuffisantes. La formation de disciples est un processus intensif, malheureusement limité par le manque de personnes disponibles. Naik décrit, par exemple, une formation insuffisante des évangélistes et des pasteurs, qui a pour conséquence des « fruits fragiles ». Les problèmes qui se posent dans les communautés pauvres peuvent également être écrasants : le besoin d’emploi et de création d’emplois, l’éducation, la défense des intérêts sociaux et politiques, la formation de disciples, la guérison des traumatismes et l’éducation théologique.

Comme le montrent de nombreux exemples, il y a des partenariats qui ont permis d’accroître à la fois la qualité et la quantité des efforts missionnaires :

  • Au Brésil, l’Alliance nationale de soutien aux Roms (ABRACI) a été créée en 2009. Elle cherche à promouvoir l’unité entre les services chrétiens et à élaborer du matériel de renforcement des capacités et du matériel contextuel.
  • Igor Shimura, un pasteur Calon militant social, a remarqué que, grâce à des partenariats nationaux et mondiaux, ils ont entrepris la traduction de la Bible en calò, implanté dix Églises et organisé des congrès missionnaires.
  • GBBM a bénéficié de partenariats extérieurs qui lui ont enseigné, par exemple, comment le fait de raconter cinq histoires de l’Ancien Testament peut préparer une culture polythéiste à recevoir l’Évangile.

3. Nécessité de l’égalité

Les partenariats sont nécessaires de toute urgence pour encourager la transformation ; mais, dans de nombreux contextes, l’histoire des Roms nécessite de mettre l’accent sur la qualité de ces partenariats. En Europe, par exemple, au cours de son histoire, même l’Église a marginalisé les Roms, leur refusant le baptême et les jugeant parfois incompétents pour diriger leurs propres Églises. Des partenariats égalitaires pourraient donc être un témoignage vital de la réconciliation relationnelle qui est possible dans le Christ. Selon Miki Kamberović, un pasteur rom en Serbie, les Roms commencent à peine à se forger une identité et n’ont donc pas besoin de gens qui viennent avec leur propre programme et leurs propres idées, mais de gens qui veulent travailler avec eux à la transformation des communautés roms.

Roma Networks, qui a organisé la conférence de Sarajevo, est une organisation de base qui cherche à créer des réseaux, à poursuivre des recherches et à tisser des liens dans le but de transformer les communautés roms.

Roma Networks, qui a organisé la conférence de Sarajevo, est une organisation de base qui cherche à créer des réseaux, à poursuivre des recherches et à tisser des liens dans le but de transformer les communautés roms. À Sarajevo, l’accent mis sur des partenariats solides a volontairement souligné le besoin essentiel de la mise en commun de la diversité des dons du corps du Christ, de l’autonomisation des Roms et de la guérison de la relation entre les non-Roms et les Roms.

La présidente de Roma Networks, la Croate Nina Jankucić, a fait remarquer que les Roms n’ont pas besoin que des gens leur fassent croire par leur façon d’agir qu’ils sont incapables de prendre une part active. Les gens restent marqués par ce genre d’attitude, marque qu’ils transmettent à la génération suivante. Un partenariat solide implique que chacun mette sur la table ce qu’il a. C’est un élément du processus de guérison, car il permet aux Roms de commencer à croire qu’ils ont quelque chose à apporter — et quand ils apportent leur contribution, la manière dont ils sont perçus par le monde change aussi.


Deux Roms chrétiennes orthodoxes à Cluj-Napoca, Romania

Implications

L’expression « mettre sur la table ce que l’on a » soulève la question suivante : quelle table ? Une table ronde permet de veiller à ce que tout le monde se voit et a un accès égal à la conversation. Voici quelques éléments à considérer pour les Roms et les non-Roms qui se retrouvent à la table ronde :

  1. Compte tenu des nombreuses idées fausses et des préjugés sur les Roms, il est essentiel de connaître la culture et l’histoire des Roms dans leurs contextes particuliers. L’Église a la responsabilité de dépasser les images unidimensionnelles.
  2. L’écoute, l’apprentissage et l’établissement de relations sans ordre du jour permettent de cultiver la confiance. Plus le temps consacré à la relation est important, moins la confiance est fragile. Cela favorise l’honnêteté mutuelle et le dialogue, nécessaires compte tenu de la mauvaise communication interculturelle qui ne manquera pas de se produire. Les partenariats entrepris dans un paradigme transactionnel, à savoir entre ceux qui ont des ressources et ceux qui en manquent, ne prennent pas en compte la nature et la fonction du Corps du Christ.
  3. Les chrétiens roms doivent se considérer eux-mêmes à la fois comme contribuant à l’Église mondiale et comme apprenant de celle-ci. Un échange mutuel de la compréhension théologique et missionnaire des uns et des autres suscite la ferveur de l’évangélisation, enrichit l’Église dans son contexte, désactive le territorialisme ministériel et bouleverse les barrières ethniques. Par exemple, en Inde, divers services chrétiens banjara font partie du Banjara Christian Concil India (BCCI), qui organise des événements communs mettant en évidence l’unité ; et au Brésil, les ethnocentrismes entre Rom et Calon sont rompus dans l’Église.
  4. Des partenariats égalitaires entre les Églises d’Europe de l’Ouest et de l’Est (et d’ailleurs) jouent un rôle essentiel dans le traitement de questions sociales complexes. Par exemple en Europe, la migration Est-Ouest a rapidement augmenté après la chute du communisme et l’élargissement de l’UE qui a suivi. Pour les migrants roms, comme pour d’autres, les conséquences ont été à la fois positives et négatives :
  • Bien que de nombreux migrants roms s’intègrent bien, grâce aux réseaux familiaux et aux réseaux pour l’emploi, pour d’autres, leur vulnérabilité conduit à l’exploitation ou la difficulté à naviguer dans les nouveaux systèmes sociaux.
  • Les personnes les plus pauvres ou celles qui sont impliquées dans la criminalité sont celles qui sont le plus souvent présentées dans les médias, propageant des stéréotypes et des craintes sociétales.
  • En Occident, les Églises peuvent ne pas savoir comment aider les personnes qui dépendent de la mendicité ou qui ont une expérience de main d’œuvre peu qualifiée.

L’humble partenariat à la table ronde du Christ nous conduit d’abord à cette meilleure compréhension de Dieu, puis à une participation plus riche à sa mission.

Cependant, les possibilités de mission sont multidirectionnelles : les pasteurs roms envoient des anciens pour superviser les nouvelles Églises à l’Ouest et les Roms et non-Roms s’associent pour des projets de mission à l’Est. La question est complexe et nécessite un apprentissage mutuel plus important, à la fois pour saisir les opportunités missionnaires et résoudre les difficultés.

En fin de compte, comme l’a souligné Charles Van Engen : « On peut considérer que la connaissance que les chrétiens ont de Dieu est cumulative, améliorée, approfondie, élargie et étendue à mesure que l’Évangile prend forme dans chaque nouvelle culture ».[8] L’humble partenariat à la table ronde du Christ nous conduit d’abord à cette meilleure compréhension de Dieu, puis à une participation plus riche à sa mission. Récemment, je me suis assise dans ma petite église multiethnique en Croatie et j’ai été émerveillée : le prédicateur était un pasteur rom et l’assemblée qui ne manquait pas d’acquiescer de la tête était constituée de Croates, de Serbes, d’Américains et de Roms. Dans cette partie du monde, c’était un témoignage remarquable de ce qui est possible quand Jésus règne en Seigneur et que l’Esprit revêt de sa grâce.

Notes de fin

  1. Andrew Walls, The Cross-Cultural Process in Christian History (Maryknoll, NY: Orbis, 2002).
  2. Deux exemples illustrent cette complexité : dans certains contextes, certains groupes vont se présenter comme Tsiganes alors que pour d’autres, ce terme est offensant ; par ailleurs, les Sintés ne se reconnaissent pas comme Roms.
  3. See for example: Marcos Toyansk, ‘The Romani Diaspora: Evangelism, Networks and the Making of a Transnational Community’, Razprave in Gradivo: Revija za Narodnostna Vprasanja (2017) 79:185–205.
  4. Daniel Krása, Ňilaj, ‘The Banjara: A Nomadic Tribe of India and Possibly One of the Cousins of Europe’s Roma’, Romano džaniben (2007), 45-65; B. Shyamala Devi Rathore, ‘A Comparative Study of Some of the Aspects of the Socio-Economic Structure of Gypsy/Ghor Communities in Europe and in the Andhra Pradesh, India,’ European Journal of Intercultural Studies 6:3 (1996), 15-23; Donald Kenrick, Historical Dictionary of the Gypsies (Romanies) 2nd ed (Maryland: The Scarecrow Press, 2007).
  5. Il est difficile de connaître de façon fiable le nombre d’Églises et de chrétiens roms, tout comme dans de nombreux contextes, il est difficile de même connaître la taille exacte de la population rom. Cependant, quelques estimations peuvent servir d’exemples : environ 800 Églises roms en Bulgarie ; de nombreux mouvements en Roumanie, dont l’un compte à lui seul 200 Églises ; environ 140 000 croyants en France et 200 000 en Espagne. Manuela Cantón-Delgado, ‘Gypsy Leadership, Cohesion and Social Memory in the Evangelical Church of Philadelphia’, Social Compass (2017), Gypsy and Traveller International Evangelical Fellowship 2014 Report, Rene Zanellato; Magdalena Slavkova, ‘Prestige and Identity Construction Amongst Pentecostal Gypsies in Bulgaria’ in D Thurfjell & A Marsh eds. Romani Pentecostalism: Gypsies and Charismatic Christianity (New York: Peter Lang International Academic Publishers, 2014): 57–74
  6. See, for example: Tatiana Podolinská and Hrustič, Tomaš, ‘Religion as a Path to Change? The Possibilities of Social Inclusion of the Roma in Slovakia’ (2010); Miroslav Atanasov, ‘Gypsy Pentecostals: The Growth of the Pentecostal Movement Among the Roma in Bulgaria and its Revitalization of Their Communities’, Asbury Theological Seminary (2008).
  7. Florencia Ferrari and Martin Fotta, ‘Brazilian Gypsiology: A View from Anthropology’, Romani Studies 24.2 (2014),11-136; 113.
  8. Charles Van Engen, ‘Five perspectives of Missional Theology’, in Appropriate Christianity, ed. Charles Kraft (2005), 183-202; 197.

Photo credits

Feature image: « Pasteurs roms priant dans un village rom » (Photo : Jason Autry pour The Good Story, Co)

Photo image ‘Two Gypsies in Cluj-Napoca, Romania‘ by Gmihail (CC BY-SA 3.0 RS).