Introduction
L’équipe de direction du Mouvement de Lausanne a pris l’initiative d’organiser des appels pour écouter et inviter des responsables évangéliques (ci-après dénommés responsables) du monde entier, par région et par réseau thématique, en vue de préparer le Quatrième Congrès de Lausanne qui se tiendra à Séoul en Corée du Sud, en 2024. Au total, 12 entretiens régionaux ont eu lieu avec les responsables de chaque région ainsi que 24 autres entretiens, dont 23 réseaux thématiques et le réseau Génération de jeunes leaders (GJL). Ces entretiens ont eu lieu entre septembre 2020 et juillet 2021 et les leaders de chaque groupe ont transmis les notes prises lors de ces rencontres.
Les données qualitatives des notes ont été analysées par l’Équipe d’écoute mondiale, en suivant les procédures de la théorisation ancrée (Grounded Theory). Ce processus analytique inductif a été suivi en trois étapes selon la stratégie de codage de Kathy Charmaz : codage initial (codage ligne par ligne), codage ciblé et codage théorique.[1] Le codage et l’analyse ont été exécutés à l’aide du logiciel d’analyse qualitative de données NVivo for Windows, produit par QSR International.
Les notes résultaient de cinq questions servant de guide aux appels d’écoute :
1) Quelles sont les plus importantes lacunes ou opportunités restantes pour l’accomplissement du Mandat missionnaire ?
2)Quelles percées et innovations prometteuses voyez-vous qui soient susceptibles d’accélérer l’accomplissement du Mandat missionnaire ?
3) Quel est le domaine dans lequel une plus grande collaboration est essentielle pour parvenir à l’accomplissement du Mandat missionnaire ?
4) Dans quels domaines faut-il poursuivre la recherche ?
5) Qui d’autre devrions-nous écouter dans le cadre de ce processus ?
Vue d’ensemble des rapports régionaux
L’analyse par codage ligne par ligne des 12 rapports a produit un total de 285 codes thématiques. Un codage et une analyse ciblée ont ensuite été effectués sur les 56 codes communément abordés dans quatre appels ou plus.
Les thèmes dominants qui ont émergé dans la catégorie de la première question sur les lacunes restantes ont été : besoin de discipulat ; atteindre les jeunes générations ; amour et unité ; diversité dans les équipes de responsables ; Églises sans interaction avec le monde extérieur ; peuples non encore atteints ; avancée de l’islam et besoin d’évangéliser les musulmans ; crise environnementale et protection de l’environnement ; manque de missions interculturelles ; manque de contextualisation ; besoin de services chrétiens sur la place publique et sur le lieu de travail.
Les thèmes dominants analysés dans la catégorie de la deuxième question sur les percées et innovations étaient : utilisation des nouvelles technologies et nouveaux médias pour le travail chrétien ; mouvements missionnaires autochtones ; percées et innovations dans le travail chrétien.
Les thèmes dominants de la troisième question portant sur la collaboration étaient : besoin de collaboration ; le Mouvement de Lausanne comme plateforme.
Les thèmes importants émergeant de la quatrième question portant sur la recherche étaient : diaspora et migrants ; contexte socio-culturel du travail chrétien ; impact de la pandémie COVID-19 sur le travail chrétien ; peuples non atteints ; contextualisation de la théologie ; croissance de l’Église ; Génération Z et les jeunes générations ; fonctions dirigeantes.
Les thèmes importants émergeant de la cinquième question sur qui d’autre écouter étaient : Génération Z et les jeunes générations ; Esprit saint ; personnes sur le terrain ; pasteurs et responsables d’Église ; incroyants et personnes d’autres religions ; les uns les autres ; femmes ; voix universitaires ; peuples autochtones ; chefs politiques.
Vue d’ensemble des rapports des réseau thématiques
L’analyse par codage ligne par ligne des 24 rapports a produit un total de 247 codes thématiques. Un codage et une analyse ciblés ont été effectués sur les 59 codes communément abordés dans quatre appels ou plus.
Les thèmes dominants émergeant en relation avec la première question étaient : besoin de discipulat ; impliquer les jeunes ; amour, unité et partenariat ; acceptation des ministères dans l’Église ; manque de perspective holistique ; manque de contextualisation ; Églises qui n’ont pas d’interaction avec le monde extérieur ; formation des travailleurs et des dirigeants ; manque de ressources ; Églises qui n’utilisent pas les technologies et médias contemporains ; manque de vision et de confiance ; peuples non atteints ; barrières linguistiques et traduction de la Bible ; législation et politiques anti-chrétiennes.
Les thèmes importants relevant de la deuxième question étaient : nouvelles technologies pour le travail chrétien ; percées dans le travail chrétien ; Églises plus réveillées ; Églises et responsables plus unis ; mouvements missionnaires autochtones ; émergence de nouveaux responsables.
Les thèmes dominants dans la catégorie de la troisième question portant sur la collaboration étaient : besoin de collaboration ; le Mouvement de Lausanne comme plateforme ; besoin de partager les informations.
Les thèmes importants ressortant de la quatrième question étaient : recherche de bonnes pratiques ; recherche plus empirique ; recherche sur les divers services d’évangélisation ; recherche sur les peuples non atteints ; recherche sur la collecte de fonds et les sources de financement ; recherche sur la génération Z et les jeunes générations ; recherche sur le contexte socio-culturel du travail chrétien ; recherche sur l’impact de la pandémie de COVID-19 ; recherche sur la compréhension biblique des problèmes actuels ; recherche sur la contextualisation de la théologie.
Les thèmes importants émergeant de la cinquième question étaient : la génération Z et les jeunes générations ; responsables du monde majoritaire ; personnes sur le terrain ; peuples autochtones ; pasteurs et responsables d’Église ; femmes ; Esprit Saint ; incroyants et personnes d’autres religions ; les uns les autres ; dirigeants d’entreprise ; diaspora et migrants.
Synthèse générale et argumentation théorique
À partir des notes de l’ensemble du groupe, 391 codes thématiques ont émergé. Parmi ces codes thématiques, 115 sont revenus dans quatre notes d’entretien au moins.
38 codes ont émergé dans au moins dix entretiens et six dans au moins 20 entretiens. Ces six codes étaient les suivants : besoin de collaboration (36 entretiens) ; utilisation des nouvelles technologies pour le travail chrétien (29 entretiens) ; écouter la génération Z et les jeunes générations (27 entretiens) ; besoin de discipulat (25 entretiens) ; amour, unité et partenariat (20 entretiens) ; percées dans le travail chrétien (20 entretiens). On peut remarquer que le besoin de collaboration a été souligné dans chacun des 36 appels d’écoute. 102 codes ciblés (au moins quatre groupes abordant le sujet) ont émergé lors des entretiens tant régionaux qu’avec les réseaux thématiques.
Lacunes et opportunités restantes
En abordant le thème de comment traiter les difficultés rencontrées par les Églises évangéliques, le premier point qui ressort est l’importance du discipulat et de la formation de celles et ceux qui sont engagés dans le travail chrétien, quel que soit leur niveau de responsabilité. Les approches fondamentales du discipulat et de la formation au travail chrétien ont été considérées comme essentielles pour faciliter l’innovation.
Un autre point mis en avant, qui est fondamental dans l’enseignement chrétien, était l’importance de l’amour, de l’unité et des partenariats. En effet, en évoquant les diverses difficultés auxquelles sont confrontées les Églises évangéliques, ces responsables en appellent à des efforts orchestrés, fondés sur un amour et une unité qui transcendent les origines dénominationnelles et les limites organisationnelles.
Quant à la question sur les lacunes et les opportunités restantes dans la tâche actuelle de l’Église évangélique, les réponses mettaient l’accent sur l’aspect cumulatif d’un changement de paradigme.[2] Les responsables désiraient voir les connaissances accumulées en matière de travail chrétien déboucher sur des changements progressifs dans la mise en œuvre des programmes et des activités de ce travail, plutôt que de viser des changements paradigmatiques qui remettraient tout en cause trop rapidement.
Percées et innovations
Un consensus est apparu sur l’utilité des technologies avancées et les nouveaux médias dans le travail chrétien, consensus étayé par de nombreuses preuves que le recours à ces nouvelles technologies offre de nouvelles possibilités pour le service chrétien. Une observation commune à beaucoup de responsables était que les Églises évangéliques connaissent actuellement de notables évolutions internes positives. Par exemple, on constate une plus grande unité entre les Églises et entre leurs responsables, et l’émergence de nouveaux responsables innovateurs pourrait ne pas être étrangère à cette évolution.
De même, les responsables de divers services chrétiens font état de belles percées de la part des Églises évangéliques et des organisations chrétiennes qui y sont associées. Pour faire progresser en permanence le processus d’innovation, il est essentiel d’impliquer les jeunes.
La recherche d’approches innovantes dans le service chrétien traduit la volonté d’augmenter la pertinence de ce service, ce qui est au fond un élément de base de la contextualisation. En tant que processus créatif, l’innovation peut servir la contextualisation dans un monde en constante évolution. Cependant, de manière générale, les conversations des responsables semblent indiquer une préférence pour une approche orientée vers une adaptation en douceur aux changements dans l’environnement du service chrétien, plutôt que la promotion proactive d’innovations de rupture radicale.[3]
Article
Une posture d’écoute
HUIT PRATIQUES POUR ÉCOUTER AVEC HUMILITÉ, AMOUR ET ESPÉRANCE
Collaboration
La nécessité de collaborer a été longuement évoquée par de nombreux groupes. L’idée d’utiliser le Mouvement de Lausanne comme plateforme de collaboration mondiale est en soi déjà plutôt convaincante. Les responsables ont manifesté un haut niveau de confiance dans le Mouvement de Lausanne et exprimé des idées pour élargir son rôle à différents niveaux.
L’accent mis sur le partage d’informations mérite d’être signalé parce qu’il est la base des efforts mutuels de collaboration. De telles attentes semblent être très constructives pour le positionnement du Mouvement de Lausanne tant comme facilitateur que comme plateforme pour la collaboration dans le travail chrétien.
Recherche
Les responsables ont avancé des idées de recherches futures qui reflètent largement les intérêts et préoccupations qu’ils ont en lien avec leur travail. Le manque de recherche ressort comme un domaine de faiblesse dans le cercle des missions évangéliques. Il y a certes eu des efforts dans ce domaine, mais les Églises et organisations évangéliques ne sont ni unies ni systématiques dans leur façon de traiter les besoins de recherche.
D’une manière générale, les discussions et les propositions faites concernant les recherches futures mettent en lumière l’importance d’une recherche empirique. Les idées précises de recherche future ainsi que la demande de davantage de recherche nous rappellent le besoin d’une approche terre-à-terre de la théologie missionnelle qui devrait impliquer une recherche empirique sur les contextes humains.[4] Le partage des résultats de cette recherche avec l’Église mondiale serait l’expression d’un esprit de service.
Qui d’autre ?
Pour bien écouter les autres, il faut savoir sortir des sentiers battus. Dans la foi évangélique, l’idée d’écouter l’Esprit Saint est normative, mais de nombreux responsables sont trop occupés à écouter d’autres personnes, notamment celles qui n’appartiennent pas à la même dénomination ou organisation. Pourtant, écouter l’Esprit Saint peut être un exercice communautaire.[5]
Nombre de ces suggestions nécessitent une approche interdisciplinaire de l’écoute. Il faut prendre en considération différents champs de connaissances. L’écoute pourrait, bien souvent, prendre la forme d’une recherche, parce que la recherche est en soi une forme d’écoute systématique. Une compréhension holistique de la connaissance devrait s’appuyer sur une étude interdisciplinaire systématique plutôt que sur une approche compartimentée ou stratifiée.
Conclusion
Les lacunes et difficultés que doivent affronter les Églises évangéliques sont diverses et complexes. Cependant, les responsables sont bien conscients des difficultés et problèmes actuels auxquels leur travail est confronté. Toutefois, la vision qu’ils ont de leur travail n’est pas particulièrement pessimiste car ils sont témoins de percées obtenues par des approches novatrices de ce dernier.
D’une manière générale, le travail chrétien connaît un phénomène de « glocalisation » profond et largement répandu. Ce sujet a fait l’objet de nombreuses discussions au fil des ans, mais il est clair que la glocalisation est en train de rapidement devenir une réalité, accompagnée d’implications pratiques pour de nombreux contextes de travail chrétien.
Un appel solennel à l’unité de la communauté évangélique a souvent résonné lors des appels d’écoute. Ce besoin d’unité a été fortement ressenti dans un contexte de grande diversité d’origines régionales, dénominationnelles et générationnelles. Il était accompagné d’un intense désir de voir un niveau plus élevé d’amour et d’unité franchir les frontières des différents engagements dans le service chrétien.
Le Quatrième Congrès de Lausanne prévu à Séoul, en Corée, en 2024, doit servir de plateforme mondiale à la fois pour la poursuite de l’alliance stratégique entre tous ceux qui sont impliqués dans le travail chrétien, et pour l’orchestration particulière de l’innovation dans le travail chrétien. Une approche polycentrique et pluriannuelle est raisonnable, compte-tenu de la complexité des problèmes auxquels sont confrontées les Églises évangéliques. L’effort d’écoute lors de cette démarche était un bon pas en avant, et la sagesse collective transmise par les appels d’écoute nous rappelle la promesse que l’Esprit Saint est à l’œuvre dans les approches créatives du travail chrétien.[6]
Notes
- Kathy Charmaz, Constructing Grounded Theory, 2nd Edition (London: SAGE, 2014). L’objectif de la théorie ancrée est de générer une théorie à partir du résultat du processus analytique inductif de données qualitatives. Le paradigme constructiviste de la théorie ancrée trouve un appui utile dans les notions de codage initial, codage ciblé et codage théorique de Charmaz.
- Larry Laudan, Progress and Its Problems: Towards a Theory of Scientific Growth (Californie : University of California Press, 1977), 139. Veuillez également vous référer à Larry Laudan, Science and Relativism : Some Key Controversies in the Philosophy of Science (Chicago et Londres : The University of Chicago Press : 1990), 1-32 ; Larry Laudan, Beyond Positivism and Relativism : Theory, Method, and Evidence (Boulder, CO : Westview Press, 1996), 21-25.
- Cependant, l’innovation créatrice de marché est tout aussi nécessaire que l’innovation de soutien ou l’innovation d’efficacité. Voir Bryan Mezue, Clayton Christensen, & Derek van Bever, ‘The Power of Market Creation: How Innovation Can Spur Development « , Foreign Affairs, janvier/février 2015,https://www.foreignaffairs.com/articles/africa/2014-12-15/power-market-creation.
- Paul Hiebert, The Gospel in Human Contexts: Anthropological Explorations for Contemporary Missions (Grand Rapids: Baker Academic, 2009), 44-53, 127.
- P. G. Hiebert voit le concile de Jérusalem, décrit en Actes 15, comme le modèle biblique d’une communauté herméneutique, au sens que l’Église primitive a posé un processus théologique plutôt qu’elle n’a forgé des déclarations dogmatiques. Hiebert, P. G. (1994). Anthropological Reflections on Missiological Issues. Grand Rapids: Baker. p. 95.
- Cet article est un résumé du rapport analytique des appels d’écoute dont la version complète est accessible, en anglais, sur le site web de Lausanne: https://lausanne.org/l4/global-listening/the-evangelical-church-interacting-between-the-global-and-the-local.