Global Analysis

Bâtir l’espoir et la résilience dans la tempête de la COVID-19

lamentation, communautés de soins et nouvelle normalité

Gladys K. Mwiti Déc 2020

Introduction

Comme une puissante tempête, la COVID-19 a laissé le monde hébété et bouleversé, ébranlant jusqu’aux fondations de ce qu’on pouvait considérer comme « normal ». Nous avons appris que les pandémies ne font pas de distinction entre les personnes – qu’elles soient de sang royal ou d’humble condition, riches ou pauvres, âgées ou bébés – et nous n’en serons plus jamais les mêmes. Nous avons été mis sur un plan d’égalité – blancs, noirs, de couleur, asiatiques, européens et africains. Nous avons vu la vulnérabilité de nations puissantes et cela nous a rappelé que nous sommes tous égaux devant notre Dieu créateur. Nous versons les mêmes larmes, nos cœurs sont brisés de la même façon, et nos inquiétudes et nos craintes sont aussi palpables que celles des gens de près et de loin.

Nous avons appris que les pandémies ne font pas de distinction entre les personnes – qu’elles soient de sang royal ou d’humble condition, riches ou pauvres, âgées ou bébés.

Alors que les nations sont confrontées à plus de 90 millions d’infections par la COVID-19[1] et à une très grande récession économique, le monde entier continue de se débattre avec des perturbations traumatisantes : augmentation du nombre de décès par la COVID-19 ; tweets de professionnels de la santé tenant la main de patients qui meurent loin de leur famille et de leurs amis ; parents luttant pour concilier travail et enseignement à domicile, alors qu’ils sont stressés et craignent de perdre leur emploi ; des millions de personnes souffrant de l’isolement dû au confinement et de l’anxiété générée par l’absence de remède ou de vaccin. Nous nous demandons : « Jusqu’à quand ? » La COVID-19 n’est pas la seule crise. Nombreux sont les pays qui connaissent une spirale économique descendante, non seulement en raison de la pandémie, mais aussi à cause de dirigeants corrompus et de connivences politiques égocentriques, ce qui laisse beaucoup de gens perplexes : « Qu’est-ce qui va encore nous tomber dessus ? »

Impact psychosocial de la COVID-19

Les incidents traumatisants surviennent soudainement et laissent un sillage de peur, de mort et de destruction.[2] La COVID-19 est une pandémie mondiale, qui menace la vie des personnes et crée beaucoup d’incertitude. Elle a pour résultat : panique, peur, isolement, anxiété, stigmatisation, « coronaphobie », thésaurisation et colère.[3] Son impact se voit dans une escalade de problèmes de santé mentale et de ruptures sociales, en particulier chez les personnes mentalement et psychologiquement vulnérables – les pauvres, les chômeurs, les malades mentaux, les personnes dépressives et tous ceux qui sont déjà la proie de violences et d’abus domestiques.

Impact sur la santé mentale du COVID-19

29.6%

Stress

31.9%

Anxiété

33.7%

Dépression

(population de 117,044)

Le confinement et la quarantaine ont restreint la liberté de socialisation et réduit les réseaux de soutien social, notamment la vie d’Église. L’impuissance, le désespoir et l’isolement amplifient les problèmes de santé mentale et les traumatismes.[4] Alors que certains bataillent avec le déni et la colère, d’autres sont stressés et anxieux face à la perte massive d’emplois provoquée par l’effondrement d’entreprises et d’industries parmi les plus grandes. À partir de 36 études hétérogènes couvrant une population de 117 044 personnes, une récente méta-analyse de l’impact de la COVID-19 sur la santé mentale fait apparaître une prévalence de 29,6 % de stress, 31,9 % d’anxiété et 33,7 % de dépression.[5] Le sujet d’inquiétude actuel est que les nations semblent obnubilées par le contrôle de la propagation du virus et le traitement médical des personnes infectées, aux dépens des besoins tout aussi urgents en matière de santé mentale.[6]

Nous sommes aussi confrontés à l’impact sur la santé dans le monde, avec des affections physiques[7] telles que la toux, la fièvre, la fatigue, les maux de tête, la diarrhée, les maux de gorge, la perte du goût ou de l’odorat, ainsi que la détresse respiratoire aiguë. En outre, certains scientifiques affirment que la COVID-19 est en train de muter, ce qui soulève la question de savoir si les vaccins en cours d’essais cliniques seront suffisants pour un virus mutant. Alors que les laboratoires de pointe travaillent à découvrir, non seulement un vaccin, mais aussi un remède, jamais jusqu’ici autant de scientifiques ne se sont concentrés ainsi sur un seul sujet de recherche.

 Désorientation en cas de traumatisme

Dans mon livre Christian Counseling, je parle de la réalité de la désorientation en période de traumatisme – quand, dans un monde qui était ordonné et prévisible, les choses sont soudainement devenues désordonnées et erratiques.[8] Dans de tels moments, beaucoup se posent des questions telles que : « Pourquoi est-ce arrivé ? » ; « Pourquoi moi ? »


Christian Counselling: An African Indigenous Perspective Paperback by Gladys Mwiti and Al Dueck

Peu après le génocide du Rwanda en 1994, Oasis Africa, notre équipe de psychologues professionnels spécialisés dans les traumatismes, a été parmi les premiers à entrer au Rwanda. Au cours des trois années de notre programme de soutien psychologique post-traumatique, nous avons souvent été confrontés à la question « Pourquoi ? » quand nous essayions tous de comprendre le génocide où, en 100 jours, 800 000 personnes ont été tuées à la machette et au fusil.[9] Lors d’une de nos réunions, une jeune femme a posé la question : « Où était Dieu quand toute ma famille et les gens de mon village sont morts ? » Alors que la salle résonnait du silence qui a suivi cette question, un homme âgé, nommé Bizimungu, ce qui veut dire « Dieu me voit », se leva et dit : « Moi aussi, je me suis débattu pendant longtemps avec cette question. Je suis arrivé à la conclusion que Dieu était toujours là, dans chacun de nos villages et de chacune de nos situations, il nous tenait et pleurait avec nous. » Les paroles de Bizimungu font écho aux perspectives africaines sur la théodicée. La théodicée est une perspective théologique qui explique que la justice divine est à l’œuvre en dépit de la souffrance dans le monde, souffrance qui semble si souvent arbitraire et gratuite.[10] Le terme « théodicée » a été introduit par le philosophe allemand Leibniz, il est composé de deux mots grecs, theos ou « Dieu » et diké ou « justice ».[11]

Dans les moments de souffrance et de traumatisme causés par cette pandémie de COVID-19, Dieu est avec nous quand nous pleurons les défunts et que nous nous protégeons du virus.

 Se soigner soi-même et autres soins en cas de crise

La lamentation biblique

En temps de péril, puisque nous savons que Dieu est avec nous, nous pouvons pratiquer la discipline de la lamentation. Dans le livre des Psaumes, David nous enseigne le secret de la lamentation. Par exemple, dans les Psaumes 41 et 42, nous apprenons à déverser ouvertement notre cœur devant Dieu, qui ne fronce pas les sourcils quand nous exprimons ce que nous pensons et qui n’attend pas de ses enfants confus et blessés une prière bien ficelée. Lorsque nous savons que Dieu est avec nous, qu’il voit la tempête dans laquelle nous sommes et qu’il connaît notre douleur, nous pouvons lui apporter nos larmes, nos peurs et nos doutes. Se lamenter en présence de Dieu est le début de l’auto-prise en charge spirituelle en temps de crise. Cette discipline spirituelle va de pair avec la pratique des disciplines que sont la prière, la lecture de la Bible et le culte.

Se soigner soi-même et les autres soins

Se soigner soi-même, c’est, entre autres, prendre soin de son corps : bien dormir, faire de l’exercice, boire beaucoup d’eau, manger des repas équilibrés, mais il y a aussi les soins de santé mentale. Prendre soin de son esprit veut dire s’adapter à la nouvelle réalité, notamment gérer l’isolement en étant reconnaissant pour les joies simples qui égayent notre vie – le fait que nous soyons en vie, le son d’un rire d’enfant et même l’odeur de notre nourriture préférée.

Se soigner soi-même, comme les autres soins, nécessite la création d’une communauté – chérir et fêter nos relations avec les membres de notre famille, de notre voisinage, de notre parenté et de notre communauté. Ces pratiques renforcent la résilience, c’est-à-dire notre capacité à rebondir dans une vie saine, une fois la crise passée.[12] Avec les enfants, la routine est une aide car les enfants s’épanouissent particulièrement bien, là où il y a de l’ordre – maintien des horaires scolaires, planification d’activités créatives amusantes et respect gratifiant des règles familiales, y compris les gestes barrière à la COVID-19.

La perte d’un emploi et la perte d’un être cher sont assurément susceptibles de provoquer un choc et de la confusion. La perturbation des rituels de deuil et des rites funéraires dans le contexte des restrictions imposées par la pandémie rend la perte encore plus difficile à supporter. S’accrocher à la famille et à la communauté religieuse, célébrer la vie du défunt, font partie de l’auto-soin et de la prise en charge des personnes concernées.

Le rôle de l’Église pendant la COVID-19[13]

En tant que communauté, dont la mission est de prendre soin de ses membres et de celles et ceux qui l’entourent, l’Église, en plus de la pratique du culte et de l’étude biblique en ligne, se doit de mobiliser ses membres pour prendre soin des nécessiteux et transmettre un message d’espoir à la nation.

Le confinement pendant la pandémie a eu un impact sans précédent sur l’Église mondiale. Les chrétiens, dont la vie tourne autour du culte, des réunions, des temps de partage qui construisent la communauté, en petits groupes et par l’encouragement mutuel, se sont soudainement retrouvés en plein désarroi. Pas de réunions, pas d’aide pastorale, pas de rassemblements, pas de mariages, pas de sainte cène. L’Église ne savait pas et ne sait toujours pas comment faire face à la désorientation induite par cette situation. On a qualifié sa réponse d’anémique, parce qu’elle a laissé de nombreux membres en difficulté, privés de réconfort spirituel et de vie.

Au niveau mondial, le message qui semble généralement émaner de l’Église concernant la COVID-19 est : « Nous sommes fermés. Nous vous ferons savoir quand nous ouvrirons à nouveau. » [14] En tant que communauté, dont la mission est de prendre soin de ses membres et de celles et ceux qui l’entourent, l’Église, en plus de la pratique du culte et de l’étude biblique en ligne, se doit de mobiliser ses membres pour prendre soin des nécessiteux et transmettre un message d’espoir à la nation. De nos jours, trop souvent le message que nous entendons dans les médias ne concerne que le nombre de personnes infectées et de morts, et les manigances politiques impitoyables.

Conclusion

Qu’est-ce que Dieu attend de nous ? Au milieu de la tempête de la COVID-19, Dieu désire que nous prenions le temps de comprendre les signes des temps, que nous devenions porteurs d’espérance, que nous prenions soin de nous-mêmes de manière holistique, que nous nous adaptions à la nouvelle normalité pour la maison, l’Église et la communauté, que nous créions des communautés d’entraide et que nous apprenions à prononcer des paroles de dépendance totale de notre Dieu omniscient.[15]

« Car le figuier ne fleurira pas ; pas de vendange dans les vignes ; la production de l’olivier sera décevante, les champs ne donneront pas de nourriture, le petit bétail disparaîtra de l’enclos ; pas de gros bétail dans les étables. Mais moi, j’exulterai dans le Seigneur, je trouverai de l’allégresse dans le Dieu de mon salut. Dieu, le Seigneur, est ma force : il rend mes pieds semblables à ceux des biches et il me fait marcher sur les hauteurs. » (Habacuc 3.17-19 ; NBS).

Notes de fin

  1. en janvier 2021 – chiffres actuels: https://www.worldometers.info/coronavirus/?utm_campaign=homeAdvegas1?
  2. A.C. McFarlane, P. Williamson, & C.A. Barton, ‘The Impact of Traumatic Stressors in Civilian Occupational Settings,’ Journal of Public Health Policy, 30, (2009): 311–27, https://doi.org/10.1057/jphp.2009.21.
  3. Souvik Dubey et al., ‘Psychosocial Impact of Covid-19,’ Diabetes Metab Syndr, 14, (2020): 779-88, https://doi.org/10.1016/j.dsx.2020.05.035.
  4. Julio Torales et al., ‘The Outbreak of COVID-19 Coronavirus and its Impact on Global Mental Health,’ The International Journal of Social Psychiatry. Pub Med. (2020): https://doi.org/10.1177/0020764020915212.
  5. Nader Salari et al., ‘ Prevalence of Stress, Anxiety, Depression Among the General Population During the COVID-19 Pandemic: a systematic review and meta-analysis,’ Global Health 16,57 (2020): https://doi.org/10.1186/s12992-020-00589-w.
  6. Note de l’éditeur : Voir l’article intitulé « Opportunités de manifester le royaume de Dieu en comblant certaines disparités face à la COVID-19 », par Stephen Ko, Paul Hudson et Jennifer Jao, dans le numéro de novembre de L’Analyse mondiale du Mouvement de Lausanne , https://lausanne.org/fr/mediatheque/laml/2020-11-fr/opportunites-de-manifester-le-royaume-de-dieu-en-comblant-certaines-disparites-face-a-la-covid-19.
  7. Chaolin Huang, C. et al., ‘Clinical Features of Patients Infected with 2019 Novel Coronavirus in Wuhan, China,’ The Lancet, (2020): https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30183-5/fulltext.
  8. Gladys Mwiti and Al Dueck, Christian Counseling: An African Indigenous Perspective (Pasadena, CA: Fuller Seminary Press, 2006).
  9. The Editors of Encyclopaedia Britannica, ‘Rwanda Genocide of 1994,’ Britannica, https://www.britannica.com/event/Rwanda-genocide-of-1994.
  10. Barry Whitney, What are they Saying about God and Evil? (New York: Paulist Press, 1989).
  11. Richard Swinburne, Providence and the Problem of Evil (UK: Oxford University Press, 1998).
  12. Everett L. Worthington, Jr.et al., ‘Forgiveness as a Catalyst for Psychological, Physical, and Spiritual Resilience in Disasters and Crises,’ Journal of Psychology and Theology, 44, (2016): 152-65, https://doi.org/10.1177/009164711604400206.
  13. Note de l’éditeur : Voir l’article intitulé « Assoiffés de bonnes nouvelles en période de pandémie », par Carol Kingston-Smith dans le numéro de septembre 2020 de L’Analyse mondiale du Mouvement de Lausanne, https://lausanne.org/fr/mediatheque/laml/2020-09-fr/assoiffes-de-bonnes-nouvelles-en-periode-de-pandemie 
  14. Ben Johnson, ‘Rev. Robert Sirico: The Church’s Anemic Response to Covid-19 Hurts Everyone,’ Action Institute, (2020): https://blog.acton.org/archives/116548-rev-robert-sirico-the-churchs-anemic-response-to-covid-19-hurts-everyone.html.
  15. Note de l’éditeur : Voir l’article intitulé « Construire une chaire mobile pour le bien de la santé mentale », par Hebert Palomino dans le numéro de novembre de L’Analyse mondiale du Mouvement de Lausanne, https://lausanne.org/fr/mediatheque/laml/2020-11-fr/construire-une-chaire-mobile-pour-le-bien-de-la-sante-mentale

Crédits photo

Feature photo, Arto Marttinen on Unsplash

Photo, Ross Sneddon on Unsplash

Author's Bio

Gladys K. Mwiti

Gladys K. Mwiti, docteur en psychologie clinique et spécialiste des traumatismes, est la fondatrice et la directrice générale d’Oasis Africa Center for Transformational Psychology and Trauma, à Nairobi, au Kenya. Auteure de cinq livres, de nombreux articles de journaux et de chapitres de livres, elle est l’ancienne présidente de la Kenya Psychological Association.

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