Global Analysis

La violence sexiste et l’Église

Éviter que les communautés confessionnelles facilitent la violence envers les femmes

Analía Saracco Juil 2021

La violence sexiste dans la société

Au cours de la dernière décennie, le problème de la violence sexiste a acquis une grande visibilité grâce aux médias et aux différents mouvements nés pour affronter et refuser ces comportements abusifs. En tant que société, nous avons souvent caché ou « masqué » les différentes formes de violence et nous les avons naturalisées.

Très souvent aggravent la la violence sexiste, notamment à l’égard des femmes

En apparence, les gens sont susceptibles d’exprimer leur accord avec les campagnes de prévention de la violence sexiste, mais si nous examinons leur comportement quotidien, nous allons trouver des actions qui contredisent ces postulats. Très souvent, que ce soit consciemment ou inconsciemment, notre langage, nos décisions ou nos omissions aggravent la violence sexiste, notamment à l’égard des femmes, dans les sociétés où prédomine une culture patriarcale. Le taux élevé de féminicides dans le monde en est la preuve.

Dès notre naissance et tout au long de notre croissance, nous sommes bombardés d’innombrables messages sur ce que doivent être une fille et un garçon, et sur les rôles que chacun·e d’eux doit jouer respectivement lorsqu’il·elle atteint l’âge adulte. Le stéréotype pour les femmes est qu’elles sont sensibles, soumises, dépendantes et faibles, qu’elles ont moins d’aptitudes que les hommes à accomplir des tâches nécessitant autorité et direction. On dit que « la femme est un être inférieur » et on la rend responsable de la violence qu’elle subit par des expressions telles que « c’est de sa faute » ou « elle l’a cherché ».

C’est ainsi qu’en tant que société nous naturalisons la violence par le langage. Les mots ont un tel pouvoir ! Ce qui sort de notre bouche envoie à l’autre des messages qui affectent sa vie pour le soutenir, le construire, l’aider, le stimuler, le faire réagir, mais aussi pour le blesser, le décourager et le détruire. Chaque mot que nous prononçons a un effet sur la vie de l’autre, pour le meilleur ou pour le pire. Ce n’est pas seulement ce que nous disons qui a un impact sur la vie des personnes qui nous entourent, surtout celles sur lesquelles nous avons une influence, mais aussi le langage que nous utilisons pour communiquer ce que nous voulons dire.

La violence sexiste dans l’Église

Les Églises évangéliques, qui sont une partie de la société, ne sont pas exemptes du problème social de la violence sexiste. Il y a, à mon avis, deux éléments fondamentaux touchant à cette question dans les communautés confessionnelles. D’une part, elles ne sont pas exemptes parce que les membres de l’Église peuvent subir ce type de violence à la maison, au travail, et dans les différentes circonstances de la vie quotidienne. Mais, d’autre part, ce problème est également présent dans le discours de ceux qui dirigent les communautés confessionnelles.

La façon d’agir de certaines communautés confessionnelles facilite la violence, sans que cela soit nécessairement intentionnel.

La façon d’agir de certaines communautés confessionnelles facilite la violence, sans que cela soit nécessairement intentionnel. Le patriarcat est un discours idéologique prédominant dans certaines Églises évangéliques. Les femmes doivent « s’adapter » au traitement des hommes et se soumettre à leur autorité. On justifie de telles attitudes comme étant bibliques et conformes à la volonté de Dieu.

Comment les Églises peuvent-elles en arriver à faciliter la violence contre les femmes ?

Premièrement, par un système de hiérarchies dans lequel les hommes et les femmes ne peuvent pas exercer des rôles égaux. Les hommes sont placés à des postes d’autorité et de décision, tandis que les femmes qui souhaitent exercer ces mêmes rôles ne sont pas autorisées à le faire. Par exemple, en ne permettant pas aux femmes de prêcher ou de diriger, nous laissons entendre une certaine « supériorité » de l’homme qui occupe ensuite la même position à la maison. À l’opposé, nous pouvons trouver des rôles stéréotypés de femme au sein de l’Église tels que monitrices d’école du dimanche, coordinatrices de groupes de prière ou cuisinières.[1]

Deuxièmement, la violence sexiste peut aussi être justifiée par l’application de textes bibliques sans tenir compte du cadre culturel dans lequel ils ont été écrits et de la manière dont cela affecte leur application actuelle. Par exemple, l’affirmation selon laquelle l’homme est « le chef de la femme » peut servir, dans une culture patriarcale, à légitimer la supériorité de l’homme sur la femme. Ce n’était certainement pas l’intention du texte original. Une interprétation littérale du texte biblique n’est pas toujours fidèle au message qu’il porte, et nous courons le risque d’établir des dogmes qui portent atteinte à la dignité humaine.[2]

Troisièmement, dans les Églises, la violence est facilitée par le manque d’informations sur la violence sexiste. Si ce problème social n’est pas abordé et qu’il n’est pas étudié en profondeur, il peut conduire à différentes manières d’exercer la violence, dont beaucoup peuvent être très subtiles mais constituent néanmoins une atteinte à la dignité humaine.

Il est indispensable d’agir, c’est-à-dire demander l’aide professionnelle de personnes formées sur le sujet et prendre les mesures nécessaires pour préserver la vie et la dignité des personnes victimes de violence.

Enfin, la violence peut être encouragée par la « spiritualisation » de situations qui nécessitent une aide et un traitement urgents. On pense que l’agresseur va cesser d’être violent de façon miraculeuse par le seul pouvoir de la prière. Sans aucun doute, Dieu peut changer complètement et miraculeusement les gens et renverser des situations complexes, mais prier ne nous dispense pas d’agir. Il est indispensable d’agir, c’est-à-dire demander l’aide professionnelle de personnes formées sur le sujet et prendre les mesures nécessaires pour préserver la vie et la dignité des personnes victimes de violence.

La vie des gens est conditionnée, entre autres, par les connaissances acquises et les informations reçues tout au long de la vie. L’apprentissage obtenu dans les différents domaines où nous nous développons et grandissons se traduit ensuite dans nos attitudes, notre façon de penser et d’agir. Ce que nous avons appris et vécu dans la communauté ecclésiale à laquelle nous appartenons, contribue indubitablement à la formation de qui nous sommes en tant que personnes animées par la foi. L’enseignement apporté par certains pasteurs et dirigeants est ensuite reproduit dans le discours de ceux qui font partie de cette communauté, tant chez ceux qui se placent dans une position de supériorité que ceux qui l’acceptent avec soumission.

Ceux qui exercent le rôle pastoral sont confrontés à la difficulté de contribuer à prévenir la violence sexiste, de la détecter à temps, d’accompagner les victimes, et d’être des agents de paix en veillant à ne pas être des facilitateurs de cette violence.

Que pouvons-nous faire en tant qu’Église pour prévenir la violence sexiste ?

Je voudrais souligner trois actions clés.

Premièrement, transformer les croyances au niveau des dirigeants.[3]

Beaucoup de responsables d’Églises — pasteurs, responsables de services et autres — pensent que tout est conforme à ce qu’ils croient et que, par conséquent, cela ne doit pas changer. Le problème doit être traité à la racine, c’est-à-dire transformer ces croyances, pour ensuite changer les comportements et les discours. L’un des moyens d’y parvenir est de dispenser une formation holistique à la fonction de direction[4], qui inclut de faire appel à des professionnels pour comprendre les questions de justice sociale liées au sexe.

Deuxièmement, refléter l’égalité de manière concrète dans la vie quotidienne de l’Église.

Faire partie d’une Église où l’on promeut l’égalité dans les relations homme-femme, par exemple où tant les hommes que les femmes peuvent être nommés à des postes d’autorité, exercer un pouvoir décisionnel et assumer le rôle pastoral, ouvrira la voie à la non-naturalisation de la violence.

Troisièmement, prendre en compte la présence de sujets liés à l’appartenance sexuelle dans les célébrations liturgiques.

Les sujets relatifs à la violence sexuelle doivent être ouvertement abordés et faire l’objet d’enseignements dans le cadre de la routine quotidienne de la vie ecclésiale. Il est essentiel d’être informé, de comprendre quels sont les problèmes, les différents types de comportements violents, et de fournir des outils pratiques pour les détecter et des politiques pour s’en protéger, afin ne pas les naturaliser.

Réflexion finale

La dignité humaine doit être au-dessus de tout mandat religieux. Si nous parvenons à en faire la preuve concrète dans les communautés ecclésiales, nous serons certainement des agents de paix et nous créerons un espace où les femmes et les hommes pourront se sentir en sécurité, aimés et respectés.

La dignité humaine doit être au-dessus de tout mandat religieux.

Comme l’explique Elsa Tamez, la Bible, interprétée de manière androcentrique et patriarcale, a été une source de légitimité pour marginaliser les femmes dans l’Église et dans la théologie.[5] Cependant, nous avons également constaté que, lorsqu’elle est lue du point de vue des opprimés et des marginalisés, elle a été une source de libération et de vie pour beaucoup, notamment les femmes. Quand nous appliquons ce principe de base à l’Église, la communauté ecclésiale peut être un lieu d’accueil, d’amour, de plénitude, de protection et de libération. « Hommes et femmes, reflétons notre constitution humaine originelle… être à l’image de Dieu, à sa ressemblance », insiste Elsa Tamez.[6]

Jésus nous a laissé le meilleur modèle à suivre. Nous devons être humbles et reconnaître notre échec, en tant qu’Églises. Nous ne pouvons pas remonter le temps et effacer tout ce qui aurait pu être évité, mais la bonne nouvelle est qu’à partir de maintenant, nous pouvons changer la réalité de nombreuses femmes.

Notes

  1. Note de l’éditeur : L’Engagement du Cap https://lausanne.org/fr/mediatheque/engagement-du-cap, Partie II F 3, Hommes et femmes en partenariat, reconnaît, au sein du Mouvement de Lausanne, des interprétations bibliques différentes sur les rôles spécifiques des hommes et des femmes, mais énonce des principes pour une participation positive au nom de l’Évangile.
  2. Note de l’éditeur : Au sein du christianisme évangélique, il existe tout un éventail de positions théologiques sur la relation entre les hommes et les femmes, notamment les positions prônant ce qu’on appelle le complémentarisme et l’égalitarisme. Pour certains, une application littérale de certains passages peut aboutir à une diminution de la dignité des femmes.
  3. Robert Dilts, Changing Belief Systems with NLP (California: Dilts Strategy Group, 2018).
  4. Note de l’éditeur : Voir l’article de Mary Ho, intitulé La culture transcendante du leadership au service des autres, dans le numéro de mars 2020 de l’Analyse mondiale du Mouvement de Lausanne, https://lausanne.org/fr/mediatheque/laml/2020-03-fr/la-culture-transcendante-du-leadership-au-service-des-autres.
  5. Elsa Tamez, ‘Hermeneutical Guidelines to understand Ga 3.28 and Co 14.34’, Journal of Latin American Biblical Interpretation (1993): 10.
  6. Catalina F. de Padilla and Elsa Tamez, The man-woman relationship in Christian perspective (Buenos Aires: Kairós, 2002), 44.

Biographies des auteurs

Analía Saracco

Analía Saracco est la directrice corégionale de Lausanne pour l'Amérique latine. Analía est également directrice de l'aumônerie à l'Instituto Teologico FIET (Faculté internationale d'éducation théologique) basé en Argentine. Elle est membre de Juntas en el Camino (Ensemble sur le chemin), un ministère pour les femmes victimes d'abus. Elle est recteur de l'Institut d'enseignement supérieur (IFSFIET). Analía est titulaire d'un LIC en relations publiques de l'Universidad Argentina de la Empresa et d'un MTh du South African Theological Seminary.

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