Global Analysis

L’Église et la prise en charge globale de la personne 

pourquoi l’Église devrait avoir un impact

Florence Muindi Déc 2023

S’engager dans une mission chrétienne qui s’adresse à la globalité des personnes… sans l’Église

Il arrive fréquemment que ce qui nous met à genoux nous mette sur une nouvelle voie. Beaucoup de médecins ont une forte volonté et c’est l’un de mes traits de caractère. Il faut une expérience déroutante pour changer une volonté forte.

Il y a une trentaine d’années, je me suis engagée avec zèle dans la mission de changer la situation des personnes pauvres et vulnérables. Après trois ans de travail acharné, la veille de Noël 1999 m’a mise à genoux. C’est à ce moment-là que j’ai découvert que ce qui pouvait ressembler à un échec pouvait conduire à une plus grande réussite.

En ce temps-là, je m’occupais à la fois de soins spirituels et physiques. Je dirigeais un service médical communautaire pour les personnes atteintes de la lèpre, qui desservait une population d’environ 5 000 personnes. Mon travail englobait un service auprès des enfants vulnérables, avec une école biblique de vacances (EBV) avant Noël qui devait réunir 400 enfants et se dérouler dans notre cour. De plus, j’étais mariée et j’avais deux enfants en bas âge. J’étais donc très occupée, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais l’urgence était l’EBV qui avait attiré plus d’enfants que prévu.

Je me levai très tôt pour aller dans plusieurs boulangeries acheter suffisamment de pain pour l’EBV. Alors que je rentrais chez moi en ce matin brumeux et froid, ce que j’ai vu m’a complètement choquée. Des enfants de 5, 7 et 10 ans, grelottant dans le froid à 6 heures, fouillant dans une fosse à ordures – vivant complètement dans la rue, à un pâté de maisons de notre centre missionnaire.

J’avais le cœur brisé. J’ai dû lutter contre l’envie de les ramener chez moi. J’ai envisagé de leur donner le pain que je venais d’acheter. Je me suis dit que je devrais peut-être créer un orphelinat en plus des autres activités que nous faisions, ma famille et moi. Comment peut-on être témoin d’une telle scène et passer son chemin ? Comment pouvais-je continuer à ne prescrire que des médicaments pour des besoins de santé alors que ces besoins sociaux, émotionnels et mentaux n’étaient pas satisfaits au sein de la communauté ? Comment une personne ou une communauté reçoit-elle des soins holistiques ?

Ce qui m’a poussé à impliquer l’Église et comment

Pendant plusieurs jours, j’ai été assaillie par toutes sortes d’idées jusqu’à ce que tout mon paradigme de ministère change. J’ai décidé que ce ne serait pas moi qui serais chargée de distribuer le pain, de gérer un orphelinat ni même de poursuivre les soins médicaux communautaires pour les lépreux, ni de gérer l’EBV qui était devenu incontrôlable. Tout cela devait cesser.

Ce ne serait plus moi. Au lieu de cela, j’équiperais l’Église pour qu’elle assume la responsabilité de la prise en charge holistique des personnes et de la communauté. Cette nouvelle stratégie s’appellerait donc un ministère holistique. L’Église apporterait une réponse à ces besoins par les moyens suivants :

  • Faire se lever l’Église pour qu’elle remplisse son mandat et qu’elle devienne pertinente ;
  • Aider les personnes vulnérables à devenir autonomes au sein de leur propre communauté, en accordant la dignité aux plus petites d’entre elles ;
  • S’attaquer aux systèmes et aux causes profondes afin d’apporter des solutions aux personnes concernées tout en agissant pour éviter que d’autres subissent les mêmes conséquences.

La mise en œuvre d’une telle stratégie nécessite un partenariat avec les Églises locales, pour faire en sorte qu’au bout de trois ans elles soient à même de diriger et de prendre en charge le processus de transformation de ces communautés. Il s’agit d’y aller avec une stratégie de sortie planifiée. C’est l’approche que nous mettons désormais en œuvre à Life In Abundance International.[1]

Approche et fondement biblique de l’implication de l’Église

Ce modèle est ancré dans Ésaïe 61, qui décrit la mission de Jésus. Jésus est venu prêcher la bonne nouvelle aux pauvres. Ésaïe 61 explique le processus de rédemption complète, en précisant ce qu’implique agir « jusqu’à ce que germe la justice ». Cette mission de Jésus est le ministère qui vise la prise en charge des personnes dans leur totalité et que nous suivons en tant que ses disciples.

Nous nous rendons dans une communauté (ville ou village) et nous commençons par des marches de prière, à l’intérieur de son périmètre mais aussi en en faisant le tour. Le but de cette démarche est de comprendre et d’accueillir le programme du Royaume que Dieu a en vue pour cette communauté. Ensuite, nous réunissons les responsables d’Églises stratégiquement placées, en les invitant à participer à un séminaire dont le but est de définir la vision et qui décrit ce à quoi pourrait ressembler le ministère holistique de l’Église. Les personnes qui s’inscrivent sont invitées à une formation de formateurs. Ensuite, nous réalisons ensemble une enquête participative de référence pour définir le profil de la communauté. La mobilisation et l’organisation de la communauté suivent. Nous commençons la mise en œuvre, à très petits pas, afin de répondre par une solution réalisable à la priorité qui a été identifiée et au besoin ressenti. Pendant ces trois années, l’Église est équipée pour mettre en œuvre des interventions supplémentaires dans les domaines de la santé communautaire, de l’éducation, de l’autonomisation économique et de l’engagement social.

L’accent est mis sur des approches holistiques (qui ont un impact à long terme et sont durables) pour répondre aux besoins ressentis. Cela fait partie de la manière dont Dieu a appelé l’Église à accomplir le plan de son royaume, sous la conduite de l’Esprit. Les personnes sont impliquées dans l’identification de solutions durables pour les besoins qu’elles ressentent et s’approprient leur changement.

Le facilitateur de Life in Abundance (LIA) International accompagne les Églises dans une relation de mentorat pendant trois ans, les formant, les encourageant et les équipant afin de s’assurer qu’elles sont prêtes à servir. Les Églises locales sont stratégiquement situées au sein des communautés pauvres. Elles sont les agents du changement. Elles sont le sel et la lumière. En utilisant cette approche systématique et en gardant l’Église au centre, la mission de Jésus décrite dans Ésaïe 61 est mise en œuvre.

Les chercheurs ont noté que lorsque les communautés vivent leur transformation, elles ne parlent pas de Life in Abundance et de l’impact que l’organisation a eu sur leur vie. Cependant elles se réfèrent à l’Église, et c’est de fait vers elle qu’elles devraient se tourner.

L’impact de l’implication de l’Église

Nous nous demandions quel l’impact, si tant est qu’il y en ait un, subsistait encore dans les communautés que nous avions quittées il y a 25 ans, 10 ans ou même aussi récemment qu’il y a trois ans. Avions-nous imprimé une différence significative ? Les centaines d’Églises avec lesquelles nous avions établi des partenariats dans les communautés où un travail avait été fait gardaient-elles un impact durable qui mérite d’être signalé ? L’investissement passé et présent en avait-il valu la peine ?

Pour mettre fin à ces spéculations, en 2015, nous avons eu l’audace d’inviter un groupe indépendant à réaliser une analyse d’impact. Sa tâche consistait à choisir au hasard six communautés parmi toutes celles avec lesquelles nous avions travaillé et à collecter des données quantifiables pour évaluer les modèles à court et à long terme. Ces données ont permis de répondre à l’hypothèse selon laquelle, lorsque le modèle est mis en œuvre dans une communauté, le changement holistique qui en résulte peut être maintenu et étendu par cette même communauté après le départ du facilitateur.

Les évaluateurs ont choisi les six communautés et ont évalué la durabilité dans six domaines clés de la prise en charge globale de la personne :

  • Autonomie économique
  • Santé communautaire
  • Éducation
  • Impact sur l’environnement
  • Engagement social
  • Transformation spirituelle

L’équipe a également évalué les niveaux d’impact durable, en examinant les bénéficiaires choisis au sein de la communauté et l’impact au-delà de la communauté initiale.[2]

L’analyse des données montre qu’il y a un impact durable sur les bénéficiaires directs. Nos bénéficiaires cibles ont été transformés durablement après trois ans de services apportés par les programmes participatifs. L’impact a été durable dans la communauté où vivaient les bénéficiaires directs. Les bénéficiaires ont touché la population voisine après notre départ. Ce fut le cas dans toutes les communautés évaluées.

En outre, dans trois de ces communautés, les Églises locales ont exporté le programme, reproduisant les mêmes projets dans de nouvelles communautés, élargissant ainsi l’impact. Cela va totalement à l’encontre du travail conventionnel humanitaire et de développement, où l’impact tend à se dissiper après le départ du développeur. Dans plusieurs sites, à la surprise des chercheurs, ils ont remarqué que l’effet d’entraînement de l’impact au sein de la communauté, au lieu de se dissiper, augmentait en fait avec le temps. J’ai été personnellement étonnée, mais pas surprise par les résultats.

Le rapport d’étude s’achève sur trois points :

  • Ce travail se poursuit même après le départ de l’animateur ;
  • Dans tous les sites visités, il ne fait aucun doute que les gens s’engagent de manière efficace et transformatrice pour apporter un changement global à leurs communautés ;
  • Pour parvenir à ce changement durable, il est essentiel de mettre en place un modèle holistique de soins par l’intermédiaire de l’Église locale. Les composantes du modèle fonctionnent toutes ensemble et aucune ne peut être isolée pour atteindre le succès. Les interdépendances étaient évidentes dans tous les sites, à des niveaux profonds et complexes.

Je suis reconnaissante pour ce que Dieu a fait par le biais conjugué de notre action et de celle de l’Église. Ma remise en question et mes débats intérieurs de 1999 ont donc conduit à penser à l’Église locale, puis à la première formation de formateurs, ensuite à un projet pilote de trois ans, et enfin à notre travail actuel dans 12 pays d’Afrique et deux pays des Caraïbes.

Au fil des ans, près de deux millions de personnes ont reçu des soins holistiques. Parmi les personnes directement desservies, plus de 50 000 nouveaux croyants ont appris à connaître le Christ comme Seigneur et Sauveur. Plus de 3 500 Églises ont été équipées et nous continuons à en équiper d’autres dans ces 14 pays et dans le monde. Les Églises locales mettent en place des services de soins holistiques dans leurs communautés.

Dieu n’appelle pas les gens à devenir des héros et à recevoir la gloire. Il nous appelle à l’exalter.

Tendances actuelles

Dieu exige notre réponse, et il se soucie tout autant de la manière dont nous apportons notre aide.

Si l’incident de la veille de Noël 1999 ne m’avait pas déconcertée, je serais probablement encore occupée dans cette première communauté, à jouer les héros et à faire des choses pour les gens et à l’intention des gens. Je serais épuisée, je me sentirais utile, je créerais une dépendance vis-à-vis de moi, je ferais ce que j’appellerais de « bonnes œuvres », mais je rabaisserais l’épouse du Christ et, ce faisant, je me ferais du tort à moi-même.

Dieu n’appelle pas les gens à devenir des héros et à recevoir la gloire. Il nous appelle à l’exalter. Nous avons appris à rendre gloire à Dieu en équipant l’Église locale, afin de laisser un impact durable dans les endroits où nous sommes allés. Cette stratégie fonctionne, et elle porte les caractéristiques cardinales de ce que Dieu bénit globalement, parce que c’est sa mission, sa voie.

Seuls les individus qui ont été transformés spirituellement et intérieurement peuvent maintenir des changements comportementaux et physiques pour devenir la justice de Dieu, même face au combat spirituel.

On ne peut se passer de l’Église locale, car elle a reçu le mandat d’annoncer la parole de Dieu implicitement, mais aussi en la mettant en évidence et en la proclamant. L’Église est la voix spirituelle acceptable et durable de la communauté. Lorsque la communauté accepte un programme mis en œuvre par l’Église, elle accepte la fonction de l’Église et s’attend à ce qu’elle s’exprime dans les activités du programme.

La mission intégrale de l’Église est aujourd’hui communément acceptée et constitue la tendance actuelle des missions réellement efficaces. La Parole proclamée a le pouvoir d’apporter le changement transformationnel décrit dans Ésaïe 61.

Seuls les individus qui ont été transformés spirituellement et intérieurement peuvent maintenir des changements comportementaux et physiques pour devenir la justice de Dieu, même face au combat spirituel. Jésus est venu pour accomplir le ministère de la rédemption qu’il bénit et construit par l’intermédiaire de son Église.

Notes

  1. ‘Defeat Poverty. Restore Dignity’, Life in Abundance International, accessed 28 August 2023, https://lifeinabundance.org.
  2. This comprehensive study produced a thorough 53-page report available from www.lifeinabundance.org.

Photo Credits

Image by Ninara from Flickr

Author's Bio

Florence Muindi

Florence Muindi est la présidente fondatrice de Life in Abundance (LIA) International, organisation confessionnelle à but non lucratif dont le siège se trouve à Nairobi. LIA International s’engage au service des pauvres et des personnes vulnérables par l’intermédiaire de l’Église locale. Il s’engage également à promouvoir la mission holistique à l’échelle mondiale par l’intermédiaire de l’Institut.
Médecin spécialisée en santé publique de l’université de Nairobi, Florence a également suivi une formation en Suisse et en Belgique sur les interventions spécialisées en santé publique et possède un diplôme en théologie des pauvres en milieu urbain. Depuis une trentaine d’années, elle et sa famille travaillent dans le domaine interculturel, d’abord auprès des Massaïs au Kenya, puis auprès des lépreux en Éthiopie, avant d’étendre leur action à l’échelle internationale.
Ses efforts ont été reconnus et récompensés par un doctorat honorifique en lettres humaines, décerné par l’université Daystar, au Kenya, dont elle est aujourd’hui la rectrice.

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