Global Analysis

Gouvernement séculier et Mandat missionnaire

à qui obéir ?

CJ Davison, Dave Benson & Paul Lewis Jan 2023

L’Église mondiale doit réfléchir à fond à la relation entre l’autorité gouvernante et l’autorité du Christ. Récemment, la tension dynamique entre les deux est devenue évidente tant au niveau international qu’interpersonnel. Lorsque les voyages et les rassemblements ont été limités et les églises fermées pour cause de Covid, de nombreux chrétiens ont commencé pour la première fois à se poser la question : « Dois-je obéir ? » En fait – et heureusement pour nous – cette question n’est pas nouvelle. Nous pouvons nous appuyer sur les Écritures, l’histoire de l’Église et le témoignage de ceux qui nous ont précédés.[1]

Les autorités dans les Écritures

Dans l’acte même de la création, nous voyons que Dieu désire l’ordre et l’impose. L’ordre est naturel dans la Trinité qui est unité-dans-la-diversité. La liberté de s’épanouir dans des relations justes et aimantes avec Dieu, notre prochain, la nature et soi-même exige toujours une forme appropriée, sous peine de provoquer l’anarchie et la désintégration de la vie. En cela, un ordonnancement sain de la société est un bienfait en ce qu’il reflète notre Créateur, et cet ordre procure des bénédictions à l’ensemble de l’humanité et de la création. L’ordre voulu par Dieu sous-tend et renforce la mission de l’humanité, à savoir soumettre, porter du fruit et se multiplier.  Ce modèle se poursuit dans l’ordre qui est censé régir les rapports entre humains, faits d’interaction mais sans chercher à dominer, dans une société civile qui veille sur la culture et la garde, comme Dieu veille sur nous et nous garde (Genèse 2.15 ; Nombres 6.22-26).

L’Église mondiale doit réfléchir à fond à la relation entre l’autorité gouvernante et l’autorité du Christ.

Bien que le monde ne soit pas parfait et qu’aucune autorité gouvernementale humaine ne le soit, il est possible en tant que chrétiens de connaître une paix parfaite dans un environnement de puissances mondiales qui naissent et disparaissent, car nous connaissons la souveraineté et l’autorité de Dieu. Les apôtres Paul et Pierre exhortent également les croyants à se soumettre aux autorités dirigeantes (Romains 13.1 ; 1 Pierre 2.13-14) parce qu’elles existent pour notre bien sous l’autorité et l’ordre de Dieu.

Le Christ, qui est maintenant assis à la droite du Père, a préfacé son édit royal (le mandat missionnaire) par ces mots : « Toute autorité m’a été donnée dans le ciel et sur la terre » (Matthieu 28.18). Le commandement de faire des sujets loyaux du Roi Jésus implique que le reste de l’humanité (ceux qui ne suivent pas Jésus) dépend en fait d’une autre autorité. L’allégeance d’un chrétien au Christ doit être absolue, elle passe avant tout. Et pourtant, les royaumes du monde sont autorisés à régner parce qu’ils ont encore une raison d’être dans les plans de Dieu.

Une analogie appropriée est celle des parents qui confient leurs enfants à une nounou. Les parents investissent la nounou d’une responsabilité et d’une autorité dont elle aura à rendre compte à leur retour. Que doivent donc faire les enfants si leur nounou leur demande de regarder un film que les parents ont interdit ?

Dans un tel cas la tension est évidente. Or de nombreux gouvernements ont mis en place des lois qui s’opposent au Christ et restreignent ses commandements, y compris le mandat missionnaire. Si le Christ détient la plus haute autorité et permet aux gouvernements de régner comme ses subalternes, que devons-nous faire lorsque ces gouvernements contredisent les ordres clairs du Christ et les bons plans de Dieu pour le shalom ?

Modèles bibliques

En simplifiant au maximum, il y a quatre façons de réagir.[2] Chacune de ces façons est observable dans l’Église primitive autour de la tension que crée la question : faut-il suivre le Christ ou se soumettre aux autorités ? Ce cadre suscite une question utile en matière de mission et que nous ferions bien de nous poser.

Active: penche vers le conflit / Désobéir, Déclarer /Opposition: cherche à minimiser le péché/Affirmation: fait la promotion du shalom / Déserter, Dissonance / Passive: s’éloigne du conflit

Le premier modèle consiste à déclarer la vérité. Il s’agit d’une stratégie d’engagement positif et de promotion du shalom. Dans l’analogie de la nounou, les enfants ont le droit de parler et d’exprimer leur opinion, de dire la vérité face à l’autorité et de faire part d’une meilleure façon de passer du temps ensemble, reposant sur les souhaits de l’autorité supérieure (leurs parents). Nous voyons cela avec Pierre et Jean dans Actes 4. Les chefs religieux les mettent en prison et leur ordonnent ensuite de cesser d’enseigner au nom du Christ, ce qu’ils refusent poliment mais résolument.

Proclamer le royaume du Christ exige un engagement actif dans l’espoir de changer la culture, les lois et les dirigeants en annonçant l’Évangile de ce royaume et ses implications pour la société civile.

Proclamer le royaume du Christ exige un engagement actif dans l’espoir de changer la culture, les lois et les dirigeants en annonçant l’Évangile de ce royaume et ses implications pour la société civile. Les chrétiens ont le devoir d’adopter la vision biblique d’une société juste et de travailler à la réalisation de ces idéaux pour l’édification d’un bien véritablement « commun ». Cela demande de l’audace, comme nous le voyons dans la prière des disciples dans Actes 4.29. À notre époque et là où nous vivons, il est sage de se demander : comment pourrais-je vivre et proclamer une meilleure vision, qui relativise la tactique politique et mette l’accent sur un monde redressé ?

La deuxième façon consiste à désobéir. Il s’agit là aussi d’une posture d’engagement actif, mais elle penche du côté négatif ou critique. L’objectif est de minimiser le péché en dénonçant le mal et en s’opposant à l’injustice, mais d’une manière courtoise qui honore le Christ en tant que roi et agit conformément à son caractère. Dans Actes 5, les apôtres sont mis en prison pour ne pas avoir obéi aux ordres directs des autorités constituées. Lorsque l’ange les libère, il donne des instructions claires pour faire le contraire de ce que les chefs ont dit, en ordonnant aux apôtres : « Allez, tenez-vous dans le temple, et dites au peuple toutes les paroles de cette vie » (Actes 5.20, NBS). Quand les autorités les interpellent au sujet de leur désobéissance, Pierre et les apôtres répondent : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’à des humains » (Actes 5.29).

Aujourd’hui, il existe des Églises clandestines qui enfreignent délibérément et volontairement les lois injustes de leur pays, en se réunissant, en communiquant l’Évangile et en s’élevant contre les mauvais traitements infligés à leurs semblables et au monde créé par Dieu. Dans de tels cas, où la foi au Christ est interdite, il est impossible de suivre à la fois les directives de Dieu et celles des hommes. À notre époque et là où nous vivons, il est sage de se demander : dans ma situation, y a-t-il un décret politique auquel je doive désobéir si je veux rester fidèle au Christ comme Seigneur et poursuivre sa mission ?

Lorsque l’Église primitive a été persécutée à Jérusalem, elle a été dispersée dans les régions environnantes, ce qui, contre toute attente, a fait progresser la diffusion de l’Évangile, et elle a vécu pour continuer à servir (Actes 8).

Une troisième option consiste à déserter ou à fuir la situation. Il s’agit d’une réponse passive / désengagée, à l’extrémité négative du spectre, minimisant le péché en échappant à la tension entre suivre le Christ et obéir à un gouvernement injuste. Si la nounou est violente, on peut s’attendre à ce que les enfants fuient la maison. Jésus lui-même a dit : « Quand on vous persécutera dans cette ville-ci, fuyez dans une autre » (Matthieu 10.23). Lorsque l’Église primitive a été persécutée à Jérusalem, elle a été dispersée dans les régions environnantes, ce qui, contre toute attente, a fait progresser la diffusion de l’Évangile, et elle a vécu pour continuer à servir (Actes 8).

Un exemple moderne est celui d’un responsable chrétien russe qui a fui le pays par crainte d’être puni après avoir publiquement condamné la guerre en Ukraine. Il est en effet contraire à la loi russe de s’exprimer contre la guerre. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il a agi ainsi, il a répondu : « Je me suis opposé au gouvernement parce qu’il a choisi d’aller contre Dieu. Je ne veux pas participer à des tueries et à des décisions contre la loi de Dieu. » À notre époque et là où nous vivons, il est sage de se demander : est-il possible que le Christ me permette de fuir un régime despotique et m’ouvre un espace qui me permette de le suivre fidèlement dans de nouvelles frontières ?

Une dernière stratégie est la dissonance. C’est l’obéissance passive à la loi. Il s’agit d’une acceptation calculée quand on est forcé d’obéir, une réponse passive / constructive – on est donc encore ici à l’extrémité du spectre – en reconnaissant la complication d’avoir à vivre entre deux royaumes concurrents avant le jugement final.[3] Si nous imaginons une nounou oppressive, les enfants pourraient choisir de suivre un ordre déviant pour assurer la sécurité des autres membres de la maison, comme veiller sur un petit frère qui ne peut pas partir. Ou peut-être choisiront-ils, après avoir prié, de rester sous la direction de mauvais gardiens afin de maximiser des bienfaits authentiques qui seraient perdus s’ils s’enfuyaient, comme la possibilité d’être une présence pleine de foi dans le voisinage (1 Timothée 2.1-4).

La dissonance ne devrait toutefois jamais être une excuse pour désobéir aux commandements clairs du Christ ou promouvoir des politiques qui le font.

Ce sont des zones grises où il n’est pas clair de savoir si obéir à une autorité signifie désobéir à l’autre. Nous l’avons vu avec certaines Églises qui n’aimaient pas les restrictions dues à la pandémie de Covid, mais qui ont choisi de se conformer à la loi pour témoigner devant un monde à l’affût. Peut-être que beaucoup de nos frères et sœurs, qui ne peuvent pas fuir des gouvernements oppressifs, ont décidé de ne pas enseigner sur certains sujets afin de pouvoir continuer à chercher d’abord le royaume de paix du Christ et à diriger les gens vers Jésus par d’autres moyens.

La dissonance ne devrait toutefois jamais être une excuse pour désobéir aux commandements clairs du Christ ou promouvoir des politiques qui le font. Il ne s’agit pas d’une vague option ou d’un dernier recours pour ceux qui n’ont pas de conviction morale. La dissonance sage est calculée, elle implique de vivre prudemment le paradoxe de gouvernements pécheurs et d’un royaume parfait, par amour et souci du bien-être et de l’épanouissement des autres.[4] C’est pourquoi Paul recommande : « Mettez à profit les occasions qui se présentent à vous, car nous vivons des jours mauvais » (Éphésiens 5.16, BDS). À notre époque et là où nous vivons, il est sage de se demander : si je persiste fidèlement, en suivant le Christ au milieu de la dissonance, quel bien en découlerait et comment pourrais-je garder mes repères lorsque les autorités ont perdu leur chemin ?

Conclusion

En définitive, nous devons nous en remettre à la direction du Saint-Esprit selon les diverses situations. Nous voyons l’apôtre Paul adopter une ou plusieurs de ces solutions, selon la situation. Il s’enfuit de Damas à la faveur de la nuit. Pourtant, il continue de prêcher activement alors qu’il sait qu’il est dangereux de le faire. Finalement, il est emmené captif à Rome, et il ne cherche pas à fuir Malte lorsqu’il en a l’occasion. Il fait confiance au plan de Dieu pour lui jusqu’à la mort à Rome, profitant du temps qui lui reste pour proclamer le règne de Dieu alors qu’il est en résidence surveillée (Actes 28.30-31).

Dans des temps complexes, qu’est-ce qui peut nous aider à naviguer les eaux troubles de ces problématiques d’ordre culturel ? L’apôtre Pierre offre un éclairage, avant d’ordonner aux croyants d’être soumis aux autorités dirigeantes. Il dit : « Vous, par contre, vous êtes une lignée choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis, pour que vous annonciez les hauts faits de celui qui vous a appelés des ténèbres à son étonnante lumière » (1 Pierre 2.9).

En premier lieu, nous devons donc revenir au cœur de notre identité dans le Christ, en sachant que notre citoyenneté première est au ciel.  Cela contribuera à nous libérer des attachements purement mondains (1 Pierre 2.16). Si nous fusionnons notre foi avec notre nationalité et notre allégeance au gouvernement, il nous sera difficile de discerner où réside notre loyauté au Christ lorsque surviendront des moments de tension.

Deuxièmement, nous devons être moralement purs. Étant « des exilés » ou « des résidents temporaires », nous devons nous abstenir des passions de la chair (1 Pierre 2.11). Pierre nous exhorte à vivre selon une norme de piété et de pureté, ce qui n’est pas toujours synonyme de respect de la loi civile. Nous sommes appelés à être plus purs que ne l’exigent les gouvernements. Même si le monde déteste notre évangile et notre message, il reconnaîtra au moins nos bonnes actions et, un jour, il glorifiera Dieu (1 Pierre 2.12).

Enfin, nous devons nous rappeler à quoi nous sommes appelés. Notre objectif premier est de briller comme le Christ. Nous pouvons renforcer l’identité de l’Église en nous soumettant aux autorités dirigeantes du mieux que nous pouvons. Nous ne devons pas être identifiés comme étant agités, irrationnels ou instigateurs du chaos. Ensuite, si le moment se présente de désobéir, le monde verra notre Christ qui nous invite avec amour à l’allégeance ultime.[5]

Notes

  1. Un débat plus complet devrait en principe faire intervenir ensemble la sagesse de l’Écriture, la tradition, l’érudition, l’expérience et même certains arts, pour interpréter le tout de manière auto-réflexive et se fonder sur la « norme normative » de ce que nous croyons que Dieu a dit dans sa parole. Pour une saine herméneutique, voir John G. Stackhouse, Jr, Need to Know: Vocation As the Heart of Christian Epistemology (New York: Oxford University Press, 2014).
  2. Le cadre suivant s’inspire de l’ouvrage de H. Richard Niebuhr intitulé Christ and Culture (San Francisco: HarperSanFrancisco, 2001), où les options peuvent être comprises comme les quatre parties formée par deux continuums : l’axe vertical actif-passif (ou, engagement-désengagement) qui indique si nous nous penchons vers le conflit ou si nous nous en éloignons ; et l’axe horizontal positif-négatif (ou, affirmation-opposition) qui indique si notre position est principalement constructive (maximise le shalom) ou destructrice / évasive (minimise le péché). Plutôt que d’être considérées comme des stratégies distinctes dans une taxonomie décrivant toutes les réponses possibles, il est préférable de les voir comme une typologie ou une lentille à travers laquelle on peut examiner tout conflit entre l’obéissance au Christ et la culture. Dans une situation complexe, nous pouvons adopter des aspects de chaque type en même temps.
  3. Pour les chrétiens appelés à servir ou à faire du lobbying en politique, la dissonance est bien souvent nécessaire. En effet, dans une démocratie pluraliste, pour faire avancer les choses entre factions concurrentes, nous devons rechercher ce qui est optimal pour notre vision du Royaume en vue de l’épanouissement de tous (c’est la justice), plutôt que de nous préoccuper uniquement de nous. Ce qui est idéal est rarement, voire jamais, possible, et se fixer comme seule option une victoire totale dans le cadre d’une politique du tout ou rien alignée sur nos valeurs (comme chercher à interdire complètement l’avortement et ne pas s’associer à ceux qui le rendraient moins probable qu’il ne l’est actuellement) se fait généralement au prix de la perte de gains importants dans la bonne direction. Les minorités chrétiennes doivent être « avisés comme les serpents et purs comme les colombes » (Matthieu 10.16). Comme l’a fait remarquer Otto von Bismarck, premier chancelier de l’Empire allemand : « la politique est l’art des possibles, du réalisable – l’art du mieux possible. »
  4. Pour un argument convaincant en faveur de cette approche, où le compromis de principe est une forme de réalisme chrétien dans un monde brisé afin de maximiser le shalom et minimiser le péché, voir John G. Stackhouse, Jr, Making the Best of It: Following Christ in the Real World (New York: Oxford University Press, 2011).
  5. Note de l’éditeur: Voir l’article de Babatomiwa M. Owojaiye, intitulé « Persécution des chrétiens au Nigeria » dans le numéro de mai 2022 de l’Analyse mondiale du Mouvement de Lausanne https://lausanne.org/fr/mediatheque/laml/2022-05-fr/persecution-des-chretiens-au-nigeria.

Authors' Bios

CJ Davison

CJ Davison est directeur international de Leadership International, qui équipe des leaders à l’image du Christ pour la mission de Dieu par le biais de formations et de ressources. Résidant au Royaume-Uni avec sa femme et ses trois enfants, il voyage, enseigne, écrit et collecte des fonds pour soutenir des programmes de formation au leadership biblique gérés localement. Il participe également à l’initiative GJL du Mouvement de Lausanne et est l’auteur de Missional Friendships: Jesus’ Design for Fruitful Life and Ministry [Amitiés missionnelles : le dessein de Jésus pour une vie et un ministère fructueux].

Dave Benson

Dave Benson est directeur de la culture et du discipulat au LICC (London Institute for Contemporary Christianity). En tant qu’ancien professeur de lycée, pasteur, fondateur d’une Église de maison avec sa femme Nikki, et professeur de théologie pratique au Malyon Theological College de Brisbane, en Australie, Dave est animé d’une passion pour le dialogue pluraliste et l’expression publique de la foi chrétienne dans un contexte post-chrétien, en vue de l’épanouissement de tous.

Paul Lewis

Paul Lewis est jamaïcain et travaille dans son pays pour le Students Christian Fellowship and Scripture Union (membre du réseau mondial IFES). Ses responsabilités concernent principalement les étudiants universitaires. Il est également apologiste et écrivain chrétien. Il entame une maîtrise en apologétique culturelle à la Houston Baptist University. Il est l’animateur du podcast Musings: Thoughts from a Biblical Worldview.

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