Global Analysis

Construire une chaire mobile pour le bien de la santé mentale 

relier notre histoire à l’histoire de Dieu

Hebert Palomino O. Nov 2020

Introduction

« Cher ami, je souhaite que tu prospères à tous égards et que tu sois en aussi bonne santé physique que tu l’es spirituellement. » (3 Jean 2 NBS)

Toute cette épître de l’apôtre Jean est une lettre personnelle témoignant de sa sollicitude, son amour et son désir de bien-être pour son ami bien-aimé Gaius – toute la lettre est un traité de bons vœux et d’encouragements à être cohérent dans la vérité. Le texte grecque (peri panton euchomai, en français : « je souhaite avant tout »), a une connotation de prospérité et de bonne santé. Ce faisant, Jean ne sous-entend pas une pratique doctrinale, mais plutôt un profond désir de plénitude dans la vie quotidienne.

La prédication devrait et doit avoir un grand impact sur le bien-être, présent et futur, de la race humaine

Dans notre monde contemporain, la prédication est un outil puissant pour exprimer nos souhaits, notre amour et notre sollicitude. La prédication devrait et doit avoir un grand impact sur le bien-être, présent et futur, de la race humaine. Dans l’Ancien et le Nouveau Testament, le proclamateur/prédicateur/prophète a joué un rôle clé remarquable dans le bien-être holistique du peuple.

Bref fondement biblique de la proclamation et du rôle du proclamateur

Dans l’Ancien Testament

Dans l’Ancien Testament, les prophètes étaient les représentants(le visage ?) de la proclamation. Ils servaient littéralement de médiateurs entre Yahvé et son peuple. Leurs messages pouvaient prendre la forme d’une affirmation, d’une réprimande ou d’une consolation. Le message des prophètes était lié à l’histoire du peuple, à sa culture, à ses coutumes et à ses influences politiques et sociales. Ils faisaient partie intégrante de la réalité quotidienne.

En étudiant leur rôle, j’y trouve une dimension d’« alliance » exprimée dans une relation polyfonctionnelle : Dieu, le prophète et le peuple. Les prophètes agissaient comme une « conscience » vivante du peuple, en contact et en phase avec Dieu, et en même temps, en phase avec le peuple. Ils étaient les prophètes de ce jour-là, pas ceux du lendemain. De la même manière, les prédicateurs d’aujourd’hui doivent comprendre et traiter les problèmes nombreux et complexes auxquels le monde est confronté de nos jours.

Les prophètes, en tant que proclamateurs, s’inscrivaient dans la culture à laquelle il appartenait. Le dialogue entre la culture et le message est dynamique et contextuel. En d’autres termes, le message affecte et influence la culture des gens en façonnant, interpellant ou confrontant leur système de croyances, pour le bien-être de la population.

Dans le ministère et le message de Jésus

La valeur fondamentale du ministère et du message de Jésus était holistique. Le « bien-être » ou la « bonne nouvelle » du message était inclusif. Comme le dit Matthieu : « Jésus parcourait toutes les villes et les villages, il enseignait dans leurs synagogues, proclamait la bonne nouvelle du Règne et guérissait toute maladie et toute infirmité. » (Matt 9.35 NBS) Il est évident que Jésus a une approche intégrative naturelle dans l’intérêt qu’il porte aux gens. Pourtant, des siècles plus tard, on voit toujours une dichotomie entre « annoncer la bonne nouvelle » et « guérir », même si une nouvelle approche est de plus en plus souvent adoptée dans les milieux religieux et scientifiques.[1]

Jésus était conscient du contexte culturel dans lequel il exerçait son ministère, et son message était contextualisé en fonction des circonstances particulières à chacun.

Jésus était conscient du contexte culturel dans lequel il exerçait son ministère, et son message était contextualisé en fonction des circonstances particulières à chacun.[2] La prédication de Jésus a eu une influence profonde, vivifiante et puissante sur le bien-être holistique de ses auditeurs. Aujourd’hui, il convient de revisiter la prédication de Jésus, d’autant plus que nous vivons une époque où la prédication contient un large éventail d’interprétations et de méthodes de transmission.

L’impact modèle de la prédication sur la santé mentale d’un public doit être celui de notre Seigneur et Maître, Jésus. Son impact sur la santé mentale des gens était évident lors de ses rencontres avec des personnes, par exemple ses 12 disciples, la Samaritaine, Nicodème, Zachée et Bartimée. Il est allé à leur rencontre là où ils étaient, p.ex. sur le rivage pour les disciples qui étaient pécheurs.

De la même manière, aujourd’hui, les prédicateurs doivent porter le message de Dieu aux gens là où ils se trouvent, en répondant à leur besoin. Il est crucial d’étudier, en profondeur et herméneutiquement, la composition théologique du message. L’imago Dei, l’image de Dieu, doit être relue et proclamée. Les hommes et les femmes ont été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Cette affirmation donne à l’humanité une place, une position, une valeur, un but créationnel, une raison d’être. C’est une vérité qui affirme l’identité des êtres humains comme « le couronnement de la création » et « son trésor particulier ». Bien entendu, la présence du péché fausse le plan originel. Cependant, lorsque l’accent est mis sur le péché plutôt que sur le plan divin originel, le message est limité, incomplet ou tronqué et par conséquent n’est pas thérapeutique pour les auditeurs.

Jésus s’est employé à mettre en valeur et sauver la valeur et la dignité des hommes et des femmes. À chaque occasion, il a voulu que ses disciples sachent, voient et ressentent que la vie est un processus continu dans lequel la foi, l’amour, la compassion, l’espérance, la joie, les épreuves, la maladie et l’endurance font partie tous ensemble du pèlerinage terrestre vers une destination éternelle. Jésus est un modèle pour nous tous, tant comme messager que pour son message.

Une réflexion et un parcours personnels

Aux États-Unis, selon le National Institute of Mental Health [Institut national de la santé mentale] chaque année, environ 1 adulte sur 5 (43,8 millions) est atteint d’une maladie mentale. De même, toujours aux États-Unis, environ 1 adulte sur 25 (9,8 millions) souffre d’une maladie mentale grave qui entrave ou limite considérablement une ou plusieurs activités vitales majeures.[3]

En tant qu’Église, nous jouons un rôle crucial dans le bien-être des gens.

Personnellement, en tant que praticien de la santé mentale et professeur en soins et conseils pastoraux, ce sujet me préoccupe profondément. Être membre d’un collège professoral interdisciplinaire dans une faculté de théologie[4] m’incite à regarder de près la réalité que nous vivons en Amérique et dans d’autres parties du monde. En tant qu’Église, nous jouons un rôle crucial dans le bien-être des gens. Nous avons l’obligation divine de bien exposer le message de Dieu et d’être des messagers vivifiants. Chaque jour, au contact des gens, à l’église, au travail ou dans le cadre scolaire, nous entendons de nombreux récits de vie.

Ces histoires, en elles-mêmes, sont pleines de blessures, de tristesse, de déception, de frustration, de douleur, mais aussi peut-être d’espérance, de joie et de fêtes. Chaque histoire est un miroir de la façon dont les circonstances de la vie ont touché quelqu’un à un moment particulier de sa vie. Si ceux qui célèbrent leurs réussites et leurs joies ont la possibilité de se faire entendre, il serait formidable que ceux qui sont confrontés à des « bas » puissent également disposer du même espace, du même cadre et de la même opportunité pour partager leurs expériences personnelles. Peut-être est-ce là notre défi : créer une nouvelle façon de faire communauté et de proclamer.

Dans notre monde contemporain, notre « chaire » doit être mobile. Par là j’entends qu’une chaire mobile est un sanctuaire sacré où théologie et soin pastoral se rencontrent. Le seul but est de faire entrer les histoires des gens dans l’histoire de Dieu. Si nous ne le faisons pas, pour la grande majorité des auditeurs, le message continuera à n’avoir aucun rapport avec leur réalité.

J’ai grandi en tant que fils et petit-fils de prédicateurs. J’ai répondu à un appel à l’obéissance en tant que pasteur et en tant que missionnaire. En tant que théologien et conseiller clinique en santé mentale, j’ai été mis au défi, au cours de mon propre pèlerinage, de me poser des questions qui m’ont amené à comprendre le pouvoir, la validité et la pertinence de la bonne nouvelle aux différentes étapes de la vie des gens.

En effet, en veillant à livrer une prédication qui suive fidèlement les règles précises de l’herméneutique, et qui repose sur un solide fondement biblique et herméneutique, nous devons aussi veiller à en faire ressortir le message profond et vivifiant.

Cet exercice intentionnel m’a amené à explorer plus à fond mes propres préjugés, mes présupposés théologiques, mes idées préconçues, et même certaines affirmations doctrinales concernant des croyances qui, au nom de la « bonne herméneutique », ont aliéné les autres, en leur donnant le sentiment de ne pas être appréciés, de ne pas avoir de valeur devant Dieu. Le chemin a été long, mais épanouissant et plein de sens. Dans ma vie, j’ai été confronté à la douleur de personnes qui, au nom de la « bonne » croyance ou doctrine, ont été ostracisées, exclues ou simplement ignorées. J’ai essayé de rendre ma chaire mobile, en interprétant ce que le Seigneur a fait, en écoutant les histoires et en en tirant les leçons. Cela a été thérapeutique, non seulement pour le conteur, mais aussi pour les auditeurs.

En effet, en veillant à livrer une prédication qui suive fidèlement les règles précises de l’herméneutique, et qui repose sur un solide fondement biblique et herméneutique, nous devons aussi veiller à en faire ressortir le message profond et vivifiant.

Si je mets l’accent sur le terme « vivifiant », c’est parce que je crois que c’est l’une des principales difficultés, mais aussi l’une des principales opportunités, auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui.

Quelques conseils pratiques

En tant que soignant qui aspire à ce que son message ait un impact sur ceux qui l’entendent, permettez-moi de vous faire part de quelques réflexions qui pourraient vous être utiles :

  1. Gardez à l’esprit que les gens veulent connaître de première main la pertinence de la parole de Dieu, dans tous les épisodes de leur histoire personnelle. Certaines histoires de vie sont pleines de honte, de frustration, de peur, de colère, de tristesse, de rêves non réalisés, de relations brisées, d’angoisse, etc. Dans la mesure où le messager et le message se rapprochent de leurs réalités, leur impact devient un cercle vertueux : sensibilisation, espérance, sens, but et croissance. Il faut donc prendre le temps de connaître les besoins des gens.
  2. Pensez à montrer aux gens l’omniprésence de l’amour inconditionnel de Dieu. Parfois, nous communiquons et articulons très bien les vérités bibliques, mais les concepts semblent froids et très éloignés de ce que vivent les gens dans leur propre réalité. Par conséquent, ils s’aliènent de Dieu. De la Genèse à l’Apocalypse, nous voyons l’amour inconditionnel et la présence de Dieu. Dieu a toujours fait preuve d’une grande proximité avec l’humanité. Il nous rappelle sans cesse qu’il n’est pas distant de notre histoire personnelle.
  3. Faisons en sorte que notre message présente l’être humain, homme ou femme, comme étant encore en formation – pas un produit fini. C’est ce que Paul a intégré dans sa saine expérience personnelle : « Non, certes, je ne suis pas encore parvenu au but, je n’ai pas atteint la perfection, mais je continue à courir pour tâcher de saisir le prix. Car Jésus-Christ s’est saisi de moi. » (Philippiens 3.12 BDS)
  4. En tant que messager, faites en sorte que votre message soit réaliste. Une des principales responsabilités du soignant est de ne pas générer de fausses attentes ou promesses, mais de poser une base de santé, d’amour et de soins. Il n’y a pas de réponses faciles aux questions complexes de la vie. Cependant, ne les évitez pas, n’en faites pas fi, ne faites pas comme si elles n’existaient pas. Nous pouvons écouter et accompagner ceux qui nous sont chers dans leur pèlerinage et faire confiance à Dieu pour qu’il réponde, en son temps.
  5. Prenez conscience que, parmi nos fidèles, nos téléspectateurs et nos lecteurs, il y a des gens qui sont confrontés à des problèmes de santé mentale, allant de modérés à chroniques.[5] Pour eux aussi, il y a de l’espoir. La recherche prouve que : « … la plupart des pasteurs, des membres de la famille et des personnes souffrant de maladies mentales aiguës s’accordent à dire que les chrétiens souffrant de maladies mentales aiguës peuvent néanmoins s’épanouir spirituellement. »[6] En dépit de leur situation personnelle ou familiale, un changement structurel ou fonctionnel, ou une guérison est possible. Une parole d’encouragement, d’espérance, la présence de Dieu et l’amour inconditionnel pendant leur traitement et leurs soins, sont comme de l’eau dans le désert.

Conclusion

Prêcher est un art. Entre les mains de Dieu, l’utilisation des bons outils est un canal de guérison, d’affirmation, d’avertissement sain, de restauration, de changement et d’espérance. Les paroles de l’apôtre Jean sont toujours valables dans notre monde contemporain : « Cher ami, je souhaite que tu prospères à tous égards et que tu sois en aussi bonne santé physique que tu l’es spirituellement. »

Notes de fin

  1. For more in this area see: Cobb, M.R., C.M. Puchalski and B. Rumbold, eds., Oxford Textbook on Spirituality in Healthcare (Oxford: Oxford University Press, 2012); Koenig, H.G., D.E. King, and V.B. Carson, eds., Handbook of Religion and Health (Oxford: Oxford University Press, 2012); Puchalski, C.M., and R.N. Ferrel, Making Health Care Whole. Integrating Spirituality into Patient Care (West Conshohocken: Templeton Press, 2010).
  2. To explore more about this concept see: D.A. Carson, Christ & Culture Revisited (Grand Rapids: Wm.B.Eerdmans Publishing, 2008). Besides, H.Richard Niebuhr, The Responsibility of the Church for Society and Other Essays (Westminster John Knox Press, 2008).
  3. See more detailed statistics, www.nami.org/learn-more/mental-health-by-the-numbers.
  4. School of Divinity, Gardner-Webb University, Boiling Springs, NC (USA)
  5. Editor’s Note: See article by Gladys Mwiti & Bradford Smith, entitled ‘Turning the Church’s Attention to Mental Health’, in the November 2018 issue of Lausanne Global Analysis https://lausanne.org/content/lga/turning-the-churchs-attention-to-mental-health.
  6. See complete LifeWay Research, https://lifewayresearch.com/wp-content/uploads/2014/09/Acute-Mental-Illness-and-Christian-Faith-Research-Report-1.pdf

Author's Bio

Hebert Palomino O.

Originaire de Colombie, en Amérique du Sud, Hebert Polomino O. PhD, BCCC, BCPC a été pasteur baptiste pendant 25 ans au Pérou et au Paraguay. Il est professeur en Conseil et soins pastoraux à la School of Divinity de l’université Gardner Webb à Boiling Springs en Caroline du Nord, Etats-Unis www.gardnerwebb.edu.

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