Global Analysis

Faire grandir les Églises dans un environnement hostile

le potentiel des médias et des assemblées locales

Phill Butler Sep 2021

J’ai eu le privilège de travailler sur des projets médiatiques chrétiens dans le monde entier. Ce que je couvre dans ce bref article s’applique essentiellement à tout environnement fondamentalement hostile au message chrétien, comme les pays à majorité islamique, hindoue ou bouddhiste, et la Chine.

Je m’intéresse particulièrement au Grand Moyen-Orient ; j’ai commencé à travailler en Afrique du Nord dans les années 1970. C’est à partir de ce contexte que je voudrais avancer ma thèse, estimant que cet exemple correspond à une réalité mondiale.

Dynamiser les communautés locales existantes et émergentes pour en faire des moteurs clés de la croissance des Églises

Pourquoi cet article

Le but de ce bref article est simple. Il s’adresse aux praticiens de la communication, aux dirigeants et aux décideurs d’agences missionnaires qui ont une composante médias et communication importante et à ceux qui participent au financement de ces initiatives.

Je suggère que le fait de dynamiser les communautés locales existantes et émergentes pour en faire des moteurs clés de la croissance des Églises et des nouveaux « mouvements » peut au bout du compte produire des résultats dépassant les stratégies plus traditionnelles, basées sur la décision individuelle.

Hypothèses sous-jacentes

Pour celles et ceux qui travaillent dans les médias, la plupart des sujets suivants sont bien connus. Mais je les passe en revue pour que les hypothèses soient claires quant aux raisons qui me poussent à faire ces propositions :

Le dessein de Dieu (Genèse 2-3) était que l’homme vive en relation ; relation avec Dieu, avec lui-même, avec les autres, avec l’ordre créé et avec l’éternité. Brisées par les décisions d’Adam et d’Ève, nos relations ont été restaurées par Jésus, comme cela est dit expressément à plusieurs reprises dans Jean 13-17. En Jean 17.21-23, Jésus affirme que sa crédibilité personnelle est confirmée ou dévaluée par la qualité de nos relations en tant que croyants. Par conséquent, les communications interpersonnelles, lorsqu’elles sont possibles, l’emportent sur toutes les autres formes de communication ;[1]

La majeure partie des « non-atteints » se trouve dans des cultures traditionnelles à forte intensité relationnelle, reflétées par l’islam, l’hindouisme, le bouddhisme et des variantes régionales en Chine et en Afrique. Cette situation contraste fortement avec l’Occident, où ce qui est prisé est l’individualisme, ce qui façonne souvent les stratégies et les investissements des médias ;

Dans les cultures traditionnelles, les difficultés ou les risques liés à l’adoption d’une innovation augmentent en fonction des implications de l’innovation proposée qui se répercutent sur la famille – immédiate ou élargie –, et sur la communauté dans laquelle vit l’individu ou la famille. En bref, le contexte social joue un rôle énorme dans une décision comme celle de suivre personnellement le Christ ;[2]

Dans les premiers siècles de notre ère, alors que la communication se limitait à des lettres entre personnes, lettres qui voyageaient lentement, les recherches sur la croissance explosive de l’Église primitive jusqu’aux environs de 300 après J.-C. suggèrent fortement qu’elle était due à l’alternative positive évidente qu’offrait la communauté des croyants. Les travaux de Michael Green, Robert Banks et Rodney Stark viennent tous confirmer cette conclusion :[3] Les cultures traditionnelles et communautaires sont-elles si différentes aujourd’hui ?

Dans ces contextes traditionnels, la recherche donne à penser qu’une communication médiatique au sujet de décisions à haut risque social a des limites. Par exemple, pour quelqu’un en recherche qui s’interroge sur le Christ, le potentiel des médias pour sensibiliser et informer quant aux divers choix possibles est important. Par la suite, les médias peuvent encore jouer un rôle important pour encourager et éduquer les individus « après la décision ». Mais, au moment critique de la prise de décision elle-même, les relations interpersonnelles sont vitales ;[4]

L’importance de la proximité dans la communication a été largement étudiée et, là encore, elle est attestée par de multiples passages des Écritures. La confiance et la crédibilité sont des éléments clés, quand les implications personnelles de la décision envisagée augmentent. Ce message vient-il d’un inconnu plus ou moins lointain ? Ou, d’une source fiable avec laquelle j’ai une relation personnelle ?[5]

L’avènement et l’adoption généralisée des médias sociaux ont considérablement élargi les possibilités d’aborder des questions telles que la proximité et la spécificité géographique des messages ;

Identifier les personnes en recherche et/ou les individus de paix qui, à leur tour, peuvent devenir des facteurs clés dans les « mouvements » a posé des difficultés à la communauté missionnaire depuis plus de 50 ans. Comment les agences médiatiques peuvent-elles galvaniser ou soutenir efficacement le rôle de l’individu dans le développement de communautés d’Église locales ?

L’éthique hautement individualiste du christianisme occidental actuel a eu un effet profond sur la façon dont le financement des initiatives liées aux médias est évalué. Le financement occidental a largement favorisé l’équivalent numérique du « combien ont levé la main ? » ou du « combien se sont avancés à l’appel ? » Mais il n’y a pas eu de catégories, pas de paramètres conçus pour évaluer la croissance de la maturité des croyants ou la santé de leurs assemblées locales.

Une autre façon de résumer ce que j’avance est la suivante : y a-t-il au moins un élément de notre stratégie médiatique ou de communication qui cherche à renforcer et à habiliter les croyants locaux existants et leurs communautés à « faire l’évangélisation », plutôt que de se focaliser sur la recherche d’une relation directe via les médias avec un individu « en recherche » ?

Expérience sur le terrain

D’après mon expérience, la question des médias et leur relation avec les problèmes sur le terrain a été sérieusement explorée pour la première fois en 1986 par huit agences axées sur l’Afrique du Nord. Trois de ces huit agences étaient des radiodiffuseurs, le seul média électronique impliqué dans l’évangélisation de la région à l’époque.

Lors de ces réunions en Espagne, on a appris que, fréquemment, la même personne contactait plusieurs radiodiffuseurs, demandant souvent des conseils, des bibles, etc. Le défi ? Faire, de ces personnes apparemment en recherche, des croyants, des disciples, et les voir finalement intégrer des assemblées locales.[6]

Alors que les producteurs de contenu et les formes de communication proliféraient, les initiatives basées sur les médias ont été confrontées à de nouveaux défis. Plus tard, une initiative multi-agences bien intentionnée, GRMS, a fait des efforts diligents pour relever les mêmes défis. C’est une histoire que beaucoup connaissent bien.

Depuis ces réunions en Espagne, en 1986, ce qu’on peut désormais appeler des « Églises nationales » constituées de croyants d’arrière-plan musulman (MBB pour le sigle anglais) ont réussi à se développer lentement à travers la Libye, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, bien que ne recevant que peu d’attention explicite de la part des médias. Une exception exemplaire est une équipe de médias basée à Tunis qui s’est concentrée sur le renforcement des assemblées locales et de leurs dirigeants.

La décision de devenir un disciple de Jésus a lieu dans un contexte hautement personnel et relationnel, sur lequel les médias n’ont que peu ou pas de contrôle.

Contexte décisionnel

En fin de compte, la difficulté réside en ce que, dans les cultures traditionnelles, la décision de devenir un disciple de Jésus a lieu dans un contexte hautement personnel et relationnel, sur lequel les médias n’ont que peu ou pas de contrôle. Les sons et les images des médias doivent se traduire en chair et en os.

Dans son étude sur la culture et la prise de décision, Shalom Swartz, cité précédemment, met en évidence sept éléments clés de la culture qui influent sur la prise de décision. Conservatisme, harmonie et hiérarchie sont trois de ces éléments. Ce sont des caractéristiques typiques des cultures où la religion joue un rôle important pour façonner les comportements quotidiens.

Un bref article de BBC News relate les conséquences de la conversion d’un musulman au christianisme, à Londres.[7] Imaginez les implications pour un converti dans un village des montagnes de l’Atlas au Maroc. Les récits de circonstances souvent horribles entourant les nouveaux convertis sont très répandus.

Les initiatives et les expérimentations qui vont de pair avec les médias sociaux ne cessent de se multiplier et ne devraient, bien entendu, que continuer à être explorées et renforcées. Pourtant, n’est-il pas raisonnable d’envisager d’allouer au moins une partie des ressources médiatiques spécifiquement aux membres et, en particulier, aux responsables des assemblées locales existantes dans des régions « hostiles » comme le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ?

Potentiel des assemblées locales

Trop souvent, nous partons du principe que les assemblées existantes et leurs dirigeants sont tellement limités par des années de « survie » qu’ils n’ont aucun potentiel d’innovation et de changement. L’idée d’un effort spécifique pour faire participer et soutenir ces assemblées et leurs responsables peut sembler être le « chemin le plus long » dans l’objectif de croissance de l’Église. Ainsi, en fait, nous pensons devoir faire un « sprint » et chercher des mouvements inspirés principalement, voire exclusivement, par les médias. Or, généralement, ces initiatives se concentrent sur les décisions individuelles. Mais alors, comment ces personnes seront-elles intégrées efficacement dans les assemblées existantes – si elles existent ? Encore plus improbable, comment l’individu va-t-il entrer en contact avec d’autres croyants, nouveaux ou existants, et former une toute nouvelle assemblée ? Si nous nous concentrons sur le renforcement des assemblées locales et de leurs responsables, la question que j’ai le plus souvent entendue est la suivante : « Quel devrait être le contenu ? »

Lors d’une conférence régionale sur l’évangélisation en Afrique du Nord en 2018,[8] les responsables ont proposé les priorités suivantes pour le contenu des médias :

Renforcer la qualité de la vie spirituelle personnelle des responsables locaux et leurs compétences en matière de leadership ;

Alerter et, dans certains cas, éduquer les assemblées locales et leurs responsables sur les moyens possibles d’offrir une couverture relationnelle et une sécurité aux personnes en recherche sérieuse et aux nouveaux croyants ;

Créer une vision qui envisage comment leur assemblée peut, en renforçant sa crédibilité et son impact potentiel, passer de la peur vis-à-vis de la communauté locale à l’accueil favorable de cette communauté ;

Donner aux assemblées locales la vision de comment devenir un moteur de reproduction – être un élément clé d’un « mouvement » ;

Partager des récits, des cas concrets et des témoignages de responsables et d’autres assemblées qui ont connu de réelles bénédictions lorsque leur assemblée locale est devenue un élément reproducteur dans le plan de Dieu. Les responsables locaux ont besoin d’être encouragés par des exemples de personnes réelles à la tête d’autres assemblées.

Un bon début serait que les responsables des médias et des ministères sur le terrain – notamment ceux qui financent les initiatives médiatiques – se réunissent pour travailler sur ces questions

Options d’action

Un bon début serait que les responsables des médias et des ministères sur le terrain – notamment ceux qui financent les initiatives médiatiques – se réunissent pour travailler sur ces questions ! Les initiatives expérimentales pourraient être conçues avec des objectifs précis et des critères convenus pour l’évaluation.[9]

Je ne suggère pas de choisir entre l’un ou l’autre. Ne pourrions-nous pas plutôt envisager un effort sérieux pour expérimenter, démontrer et évaluer le potentiel de l’investissement dans les assemblées existantes et émergentes dans ces régions traditionnellement hostiles à l’Évangile ?

Ce n’est pas vraiment une question d’argent ou de capacité technique. En définitive, nous devons soupeser notre volonté d’explorer sérieusement les questions d’intendance – notre volonté de prendre des risques et d’affronter honnêtement les implications de nos hypothèses fondamentales. Comment l’Esprit Saint donnera-t-il au peuple de Dieu les moyens de diffuser la Bonne Nouvelle de la manière la plus efficace possible, afin que tous entendent parler de lui, le donneur de vie ?

Endnotes

  1. Des références bibliques pertinentes sur le sujet se trouvent dans Hébreux 1.1-2, 1 Jean 1.1-2, etc.
  2. Shalom H Schwartz, ‘A Theory of Cultural Values and Some Implications for Work,’ Applied Psychology: An International Review, Vol. 48 (1999): 23-4, as quoted by Glazer and Karpati in their paper ‘The Role of Culture in Decision-making,’ Research Gate, September 2014.
  3. Michael Green, Evangelism in the Early Church (Grand Rapids: W. B. Eerdmans Publishing Co, 2004); Rodney Stark, Cities of God: The Real Story of How Christianity Became an Urban Movement and Conquered Rome (CA: Harper One, 2007); Robert Banks, Paul’s Idea of Community (MI: Baker Academic, 1994).
  4. « L’influence des médias est la plus grande lorsqu’il s’agit d’informer les gens et de créer des attitudes initiales ; elle est moins efficace lorsqu’il s’agit de changer des attitudes et des comportements ancrés », écrit Levi Zeleza Manda dans « Role of mass media in development: what media ; what approach? » http://www.academia.edu/2530414/Role_of_media_in_development_which_media_what_approach.
  5. Amir Seyedi, Rachid Saadi, and Valérie Issarny, ʻProximity-Based Trust: Inference for Mobile Social Networking’ [Confiance reposant sur la proximité : inférence pour le réseautage social mobile],Équipe du projet ARLES, INRIA CRI Paris-Rocquencourt, France, https://link.springer.com/content/pdf/10.1007%2F978-3-642-22200-9_20.pdf.
  6. Une vidéo sur YouTube expose plus en détail cette histoire complexe mais fascinante, montrant que le défi de base n’a pas changé, https://www.youtube.com/watch?v=j7cmpxOnvvk&t=9s.
  7. ‘Converting from Islam to Christianity: One man’s story’, BBC News UK, 6 November 2018, https://www.bbc.com/news/av/uk-46102493.
  8. La conférence régionale BlueMed, sur l’évangélisation, le discipulat et l’implantation d’Églises, se tient chaque année à Malte.
  9. Editor’s note: See article by Lars Dahle, entitled ‘Media Engagement’, in January 2014 issue of Lausanne Global Analysis, https://lausanne.org/content/lga/2014-01/media-engagement-a-global-missiological-task.

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